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dance macabre

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Priam O. Androdomyus
la nuit je mens, à Paris je me fonds

MESSAGES : 264
DATE D'INSCRIPTION : 10/10/2015

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MessageSujet: dance macabre   dance macabre EmptySam 17 Oct - 23:14

dance macabre


Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?


Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?



Ambroise lui avait parlé d'une soirée au Moulin Rouge. Quelque chose en rapport avec le travail. Il n'avait écouté que d'une oreille, Priam. Parce que cela signifiait souvent beaux vêtements, sortie coûteuse et ennui. Si il pouvait mourir d'ennui, c'est ce genre d'évènement qui verrait pourrir sa carcasse. Il finissait souvent, la joue sur le poing, l'air blasé, et peu importait son indécence. Et quand son vieil ami, son frère universel, lui avait annoncé qu'il ne pouvait finalement pas venir, qu'il devrait assurer le rendez-vous sûrement seul, qu'il pouvait parler en son nom, qu'il était capable d'étonner les trois artistes, Priam avait levé les yeux au ciel et haussé une épaule, l'air sceptique. Ineffable vérité, il avait rarement mis les pieds au Moulin Rouge, et cela datait de son ouverture. Autant dire que l'univers à paillettes et indécence ne lui avait jamais plu. Il était attiré par le mystère, et autant dire que les damoiselles se dévêtissant dans cet établissement laissait peu de place pour les énigmes, qu'elles soient charnelles ou non d'ailleurs. Dans un soupir résigné, il avait fermé le dernier bouton de sa chemise blanche, dé-serré un peu la cravate noire et or, aux motifs délicats de fleurs de lys, avait jeté un regard avide sur la canne d'autrefois puis abandonné sous les yeux amusés de sa gargouille adorée.

Veste aux épaules, allure sombre et grandiloquente. Un gentlemen, dans toute sa splendeur, les cheveux repoussés en arrière. Port altier, visage princier aux traits tirés. Les billes sombres brillent avec contrariété. « Et je n'aurai même pas l'occasion d'être ivre» gronde t-il pour lui-même en sortant dans le vent frais du soir. Ses pas de fauve le mènent jusqu'à Pigalle. Il entre, vainqueur et vaincu d'avance. La musique est plus douce que ce qu'il aurait imaginé. Du piano. Un air calme. La soirée est encore loin de débuter. Peut-être est-il légèrement un avance. Dehors, la nocturne n'est pas encore tombée comme un voile sur tout Paris. « Je peux vous aider ?» qu'une voix demande, qui le fait se tourner. Une demoiselle, petite et blonde comme le miel, au sourire aguicheur. Elle porte un jogging et un débardeur mettant en avant les formes délicates se sa silhouette. Une main sur une hanche, elle ondule jusqu'à Priam. « Je crains d'être en avance pour un rendez-vous.» Le timbre musical, qui semble se calquer sur le rythme joué sur les dents d'ivoire et d'ébène. La fille hausse un sourcil. « Tu peux avancer, si tu veux, mon mignon. Evite juste d'embêter les filles qui travaillent. » Sourire. Priam bouge ses épaules. Sous le lourd veston, les épaules bandées. Les ailes collées à la peau, serrées, torturées. Punition pour la voilure sombre aux rémiges de nuit. Nul ne doit les voir. Priam pénètre dans une gigantesque salle, à la voûte comme étoilée de néons pâles. L'odeur ici mêle la sueur, le parfum pour femme, les bougies et le textile des costumes. Quelques délicates fleurs rient, dans un coin. Il pose une épaule contre le chambranle de la porte qu'il passe, et s'immobilise pour observer les différences. Il cligne de ses grands cils, et inspire à pleins poumons de pierre.

Discrètement, il va se poser contre une colonnade, à quelques mètres d'une scène. Retire sa veste, dans la chaleur bienvenue du lieu, réchauffant ses os de craie. Il tourne son regard de droite et de gauche, observateur informe, ombre spectrale. Pourtant, on le regarde. Il le sent, l'entend, le voit. Ignore. Il s'approche des instruments, écoute encore et fait quelques pas jusqu'à l'imposant piano. L'homme lève les yeux vers l'inconnu, et Priam lui offre le premier sourire de la soirée. « Vous vous y connaissez ?» demande le musicien avec un sourire, faisant frémir sa moustache. « On peut dire ça, oui. Puis-je ?» L'homme, après avoir observé autour d'eux, ne trouve pas de raison de dire non. Le client a toujours raison. Il se pousse, laisse une place sur le banc. Priam y pose son fessier, caresse les touches encore frissonnantes d'avoir été touchées. Il place ses doigts. Cristalline mélodie, qui monte comme le chant d'un rossignol. Quelques minutes ou quelques heures. Le temps n'a plus d'importance quand la musique émeut. Mais Priam finit par délaisser les dents du monstre de bois. « Merci » chuchote t-il, et son regard comporte une gratitude inexplicable. Détendu, presque heureux d'être là, il se lève et s'éloigne pour retourner à son lieu d'observation, sous le regard médusé du pianiste, qui se remet à jouer quelques minutes après.

« Auriez-vous l'amabilité de me servir un verre de brandy ? » qu'il réclame, et la serveuse lui apporte son vice liquide, qui aura comme toujours goût de cendres et de poussière. Il avale la liqueur forte comme du charbon. Il soupire et va s'asseoir calmement, alors que des invités entrent. Les danses vont commencer, et déjà la musique change d'ambiance. L'air est saturé de conversations. Priam attend ses trois énergumènes, et en fauchant l'air de son regard sombre, respire soudain une odeur familière. Non. Impossible. Ses iris fendus, les doigts crispés autour de son verre, il la cherche. Met quelques instants à la trouver, près de la scène. Non. Son dos. Il ne peut pas le reconnaître. Mais il sait que c'est elle. « Pétrouchka. » Elle ne pourra peut-être pas l'entendre. Peut-être. Les traits qui se crispent comme les doigts blanchis sous l'effort. Le prénom qui lancine, déchire.

Sa moto. Le frémissements pierreux. Les ailes qui ne demandent qu'à émerger. Les griffes qui pointent sous les doigts, carnation grisâtre. Non. Et c'est un mélange agréablement vivifiant de colère, d'excitation et de curiosité qui flambe dans ses veines ancestrales. Le destin ait bien les choses, de toute évidence. Il ne bouge pas, immobile dans la foule qui se meut, comme un récif dans les vagues. Il la fixe, jusqu'à ce que la demoiselle blonde de l'entrée, la petite blonde, ne s'approche, en tenue - si l'on peut appeler cela tenue - de scène. Moult plumes et paillettes, mais guère de quoi faire tenir les bouts de ficelles qui servent de costume. « Vous avez besoin d'une fille pour ce soir ? » Directe. Franche. Un uppercut. Elle est sûre d'elle, son regard bleu acier tranchant comme du métal. La poitrine fière, en avant. « Peut-être après. » Elle semble surprise, puis sourit, de toutes ses dents.  « Installez-vous correctement, et si vous voulez, je viendrais m'occuper de vous tout à l'heure.»  Clin d'oeil. Priam ne réagit pas. Ses yeux se tournent encore vers Pétra. Elle n'est plus là. Il soupire et s'installe à une table sous des néons rouges et noirs. L'ambiance feutrée sera pratique si ils veulent parler affaire. Tu ne dois pas oublier ça, tu n'es pas là pour elle, mais pour Ambroise. Mais il songe à ces heures perdues sous la pluie à attendre le retour de la brune. A son retour sur la moto de la demoiselle. A la perte de sa métallique adorée. Aux émotions qui enflent en lui, quand il songe à son sourire, à sa malice. Il grimace et finit son verre, en regrettant de ne pouvoir être ivre.

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Petrouchka Wagner
la nuit je mens, à Paris je me fonds

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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 18 Oct - 18:11






Les mots qui glissent sur ses tympans, qu'elle perçoit légèrement. Mais elle n'y fait pas attention. Elle écoute, sans grande conviction de retenir tout ce qui est prononcé. Voix morne, rythme lent, sujet inintéressant car déjà abordée auparavant. Ses doigts pianotent sur la table en bois, la chaise qui grince alors qu'elle se réinstalle correctement, elle qui est tout affaissée et qui se laisse glisser jusqu'au bord, qui se voit presque tomber sous les pupitres, mais elle se rattrape. Un regard du professeur vers sa silhouette, œillade qu'elle lui rend alors qu'elle ne laisse passer que l'ennui dans ses yeux. Comme blasée, ennuyée par le fait qu'elle doive faire acte de présence. En réalité, elle n'a pas besoin d'être là. Elle pourrait simplement rester chez elle. Mais sa conscience, elle en prendrait un coup. Culpabilité qui rongerait, quand bien même elle s'en sort pas trop mal pour le peu où elle est consciente. Passer sa vie à dormir, à somnoler, à gribouiller sur des feuilles qu'elle range n'importe comment dans son sac, papiers qu'elle ne regarde même plus après l'heure passée, qu'elle laisse dans le foutoir qu'est son appartement. Endroit pas si petit mais qui ne paie pas de mine à cause du manque de rangement. Trop fainéante pour relever ses manches, s'attacher les cheveux, et entreprendre un ménage de printemps en automne. Elle est ce genre de personne, à qui on demande de débarrasser le plancher de toutes les âneries qu'elle y dépose et qui va se contenter de balayer le sol avec ses petons, écartant ce qui traîne pour cacher le tout sous des meubles, des tapis, autres choses qui peuvent permettre la dissimulation. Et l'illusion. Elle serait sûrement capable de retrouver des objets vieux comme le monde, des reliques qui datent du siècle passé et dont l'usage ne serait qu'inexistant. Le bruit la sort de ses rêveries, les individus autour d'elle qui se lèvent et qui rangent leurs affaires. Affaires qu'elle, elle n'a pas sorti. Alors elle prend son sac, qu'elle met à l'une de ses épaules et déguerpit aussi vite qu'elle est arrivée. Néanmoins, le pas se veut plus lent dès lors qu'elle sort de l'enceinte de l'établissement. Si aller aux cours ne l'enchantent que rarement parce qu'elle préfère rester chez elle, se rendre au travail est quelque chose qui la freine encore plus. Comme une obligation dont elle ne prend aucun plaisir à pratiquer si ce n'est pour recevoir un petit chèque à chaque fin de mois. Seule motivation. L'argent qui remplit les comptes, qu'elle économise depuis l'achat de sa nouvelle moto. Sûrement pour en racheter une autre, dans quelques années. Ses pieds traînent sur les pavés, bruit des semelles, qui frottent contre le sol grisâtre, mêlé aux soupirs répétés qu'elle fait partager aux autres. Paris, bondé, les rues qui l'étouffent à cause d'une présence d'humains que trop importante. Elle marche, tête baissée, comme à son habitude quand ça grouille de monde et qu'elle n'aime pas croiser les silhouettes inconnues qui la regardent. La bousculent. Comme un frisson qui vient lui parcourir le corps, elle garde ce même rythme et se contente de serrer les dents qui manquent de grincer, de froncer les sourcils qui vont laisser leur marque sur la peau. Allergique à la population environnante. Allergique aux hommes, aux femmes, à tout ceux qui s'approchent et qui ne reculent pas, qui ne dévient pas. Elle ne prend pas la peine de les regarder, se contentant d'avancer à travers la foule qu'elle tente d'éviter, la carrure qui zigzague et qui essaie d'éviter les autres corps qui se fondent dans la masse, barrière infranchissable pour elle qui peine à pousser de ses frêles épaules les passants un peu trop encombrants.

Quand elle arrive au lieu qu'elle va devoir supporter toute la soirée comme la plupart des autres nuits, c'est un soupir de soulagement qu'elle lâche même si elle sait qu'elle n'est pas sortie de l'auberge avec ce qui l'attend. Les autres, collègues de spectacle et musiciens, serveurs et serveuses qui la toisent quand elle pénètre dans l'établissement, fin sourire qu'elle se forcer à esquisser pour paraître polie alors que l'envie n'y est pas spécialement. Un signe de la tête pour faire passer le sourire rempli d'artifice, si factice que ça en crève les yeux et pourtant, on a appris à lui faire aucune remarque quant à son comportement. Peut-être parce qu'ils connaissent ce tempérament de feu en elle, qui anime chacun de ses membres dès lors qu'elle trouve le moyen de s'énerver et de passer ses nerfs sur ceux qui se trouvent à l'arrière-scène. Plusieurs fois on l'avait entendu, les cris étouffés par celles qui lui disaient de se calmer. Plusieurs autres fois, elle avait décidé de ne pas monter sur scène pour une raison quelconque qu'elle seule comprenait et qu'elle ne partageait avec personne. On ne lui disait rien. Jamais. Peut-être trop capricieuse sur les bords, celle qui est consciente du fait qu'on ne la virera pas aussi facilement. Qu'on ne peut simplement pas la virer alors qu'elle rapporte un peu. Beaucoup. On ne le dit pas, mais on le sait, qu'elle est rentable et que certains viennent pour elle. Ils viennent, sans réellement savoir si elle se produira sur scène. Simple hasard, ils croisent les doigts et ressortent déçus parce qu'elle n'a fait aucune apparition, si ce n'est deux minutes à faire les allers et retours entre les coulisses et la salle principale qui accueille les festivités. Elle n'en fait qu'à sa tête et on ne lui met aucune barrière. Pas de limite. Elle fait sa vie comme elle l'entend, on lui demande seulement d'être présente, physiquement. De montrer qu'elle est là, mais de ne pas forcément bouger son popotin tous les soirs. Et ça l'arrange. « Eh, Petrouchka ! » A peine eut-elle le temps de poser son sac dans les vestiaires à l'arrière qu'elle se fait interpeller. Petite blonde, qui s'approche d'elle. Qui trottine presque, le bras tendue à l'avant comme pour atteindre la Wagner. Ah. Elle. Elle dont elle a sûrement oublié le prénom, mais qu'elle voit tous les jours depuis un an. Elle feint. Fait comme si elle ne l'entend pas, tourne la tête rapidement en regardant ailleurs. Wouh, les jolis costumes. Puis on lui attrape l'avant-bras. « [color:0aee=#steelblue]J'ai besoin de ton aide. » Yeux qui se lèvent vers le plafond avant de se poser dans ceux de la jeune femme. Aucune réponse, elle l'écoute, attend la suite. Suite qui lui fait tirer un soupir d'agacement. « Allez quoi. On sait que tu vas rester derrière pendant toute la durée du spectacle parce que t'auras la flemme de sortir tes miches. Même si t'as mis ton costume. » Un bon point. Elle n'a pas tort. « Je te demande juste ça. C'est pas énorme. Et je sais que tu peux le faire. Moi je peux le faire aussi mais je dois bientôt monter. Faut que je me prépare mentalement. » Elle parle. Parle. Encore. Ne s'arrête pas. Petra lui fait un signe pour lui dire de se taire, simple signe de la main qu'elle lève vers elle, doucement. « D'accord. »

Comme d'habitude. Ça durera dix minutes. Peut-être cinq. Pas plus. Ce sera rapide. Petit sourire en coin, rire forcé pour charmer et l'affaire sera faite, elle repartira avec un numéro entre les doigts. Pour l'autre, la blonde. Craquement de cou. Gauche, droite. Elle inspire, comme pour se donner du courage. Elle n'aime pas, faire ça. Mais pourtant, elle le fait. Sinon, on va encore dire qu'elle est bizarre. On va se demander pourquoi elle est là, si ce n'est pas pour amuser. Ou s'amuser. Elle se regarde, de haut en bas. C'est coloré. Pailleté. Ça pique les rétines. C'est rose. Rose, flash, dégoûtant. Et si court. Si fin. Si rien du tout, en fait. On peinerait presque à trouver la parcelle de tissu qui recouvre le corps. Elle tend le bras, pour attraper le gilet. Se couvrir. Cacher. « Mais qu'est-ce que tu fous, vas-y ! » Puis on la pousse. Les talons qui viennent taper le parquet, elle grince des dents, le regard qui fixe l'autre blonde qui disparaît dans les coulisses. « C'est bon, j'y vais. J'y vais. » qu'elle dit. Plus pour elle, que pour l'autre qui est déjà loin. On lui a dit la table. Qu'elle cherche du regard, alors qu'elle avance, fait quelques pas, totalement assurée, l'expression victorieuse. Prunelles qui se heurtent à la silhouette. Elle fait demi-tour, sans même se poser de questions. « J'y vais pas. Nop. J'y vais pas. »  Et comme par magie, l'autre réapparaît. Regard destructeur qui lui met la pression. Regard qui montre l'homme, puis qui montre la scène. Regard qui veut dire, choisis entre les deux. Quitte à choisir entre les yeux de tout le monde pour la reluquer ou les yeux d'un seul. Décision prise rapidement. Elle s'avance, ne prend pas la peine de croiser le regard, s'installe en face de lui, Priam. Elle se souvient de la moto. Qu'elle a gardé. Elle relève finalement la tête, la mâchoire serrée. « Vous... » Pause qu'elle marque, involontairement. Que dire. « Prenez du bon temps. » Regard vers la boisson, signe de la tête vers la scène. Elle a volontairement croisé posé ses avant bras, croisés, sur la table, le dos courbé, à moitié affalé. Cachant le corps. « Vous... Je... Enfin la dame, elle veut votre numéro. » Autre signe de tête, vers les coulisses. La dame blonde, mais cachée. « Je viens pour... ça. » C'est maladroit. Très. Comme d'habitude.

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Priam O. Androdomyus
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 18 Oct - 19:06

dance macabre


Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?


Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?



L'amplitude chevillée au coeur. Il se sent comme ces héros de la littérature, immortels comme cet homme de Simone de Beauvoir, aux siècles enchaînés, qui voit le monde se lever et se coucher, changer. Mais lui reste figé dans ses mouvements de pierre. Le verre à la main semble peser le poids d'une éternité. Le liquide ambré reflète les lumières d'or et de couleurs qui tamisent le lieu de débauche. Il évite, esquive les corps ondulants. La presque nudité. La pudeur ne l'a jamais étouffé, mais ce n'est pas un endroit qu'il apprécie que celui où la vêture se résume à peau de chagrin. Priam jalouse ceux qui ont la capacité d'être ivre, Ambroise qui doit sûrement faire autre chose que s'ennuyer à mourir, et ses pensées voguent jusqu'aux grands évènements romains qui l'ont vu naître. « La toge ne me manque pas » murmure t-il contre le rebord transparent, avant d'avaler une gorgée qui brûle. Ardeur liquide et amère. Le goût poisseux de la cendre, débris de saveur. Il ne peut être nostalgique de ce qu'il n'a pas connu. Pourtant, ses crocs ont faim d'un coeur souillé. Ses dents d'ivoire ne désirent qu'une chose, déchiqueter ceux dont le péché est si lourd qu'il sera succulent aux papilles de lithos. Mais pas sans Ambroise. Festin à deux. Ils se moquent des rumeurs qui parcourent leurs sillons. Amants maudits, frères incestueux, amis de longue date, les étiquettes ne manquent pas. Hélas, l'humanité est trop étriquée pour comprendre la fraternité qui les unit. Nulle souillure charnelle ne les entâche. Mais ils sont au-delà des tabous ancestraux. Il n'y a rien que préfère Priam que le contact de sa main sur celle de Ambroise. Le contact de pierre à pierre. Rassurant mouvement, lent et constant. Rotation terrestre, son soleil qui se lève, au regard fixe. Parfois, une ondée, une présence les sépare ; le temps qui serpente. Priam est heureux qu'ils soient réunis, maintenant, dans ce présent. Il se demande si il parlera de la faucheuse à son camarade. Peut-être, un jour. Quand ils auront le goût de poussière sur leurs lèvres, et que les étoiles mourront. Secret Priam, quant son coeur tangue et vacille, et manque de chuter.

Il la sent, la renifle comme une bête. Son parfum, qui s'éloigne avant de revenir. Il n'a pas bougé, immobile créature tapie sous les lumières qui semblent pourtant former plus d'ombres que d'éclats sur sa table. Il voudrait ne pas se souvenir de son odeur. Hélas, elle imprègne ses narines caverneuses, s'infiltre jusqu'aux alvéoles bourrées de grès et de silex. Ça tonne, là-dedans, comme un éboulement. Elle se glisse jusqu'à lui. Les yeux plissés qui ne manquent pas une seconde du spectacle amusant du corps recouvert de rose et de paillettes. Ridicule. Oh, vraiment ? Il ne desserre pas les dents, la laisse finir sa demande, puis perplexe il finit son brandy, silencieux. Priam la laisse songer à tout ce qui pourrait le fâcher. Qu'elle joue les marieuses. Qu'elle apparaisse ainsi dans son champs de vision. Sa remarque. Sa moto. Les pupilles noires qui constatent, qui considèrent et contemplent avec une constance inhumaine. « Bonsoir Petrouchka » qu'il susurre comme un serpent pavé. « Je n'attendais que vous pour prendre du bon temps » qu'il continue, sans menace aucune, ni même d'invitation. C'est comme si il avait su dès qu'il était entré qu'elle était là. Mensonge. Mais il l'avait sentie, l'avait vu. Avait eu le temps de préparer quelques phrases bien senties. Auxquelles elle répondrait avec sa verve venimeuse. Priam avait hâte, dans une excitation enfantine et avide. Dans les brumes de ses émotions figées, il ne comprenait pas que, par bien des aspects, la demoiselle lui avait manqué. « J'aurai aimé venir en moto, ce soir, mais allez savoir comment, ma douce monture a été subtilisée. » Le ton doux, presque caressant. Il secoue la tête, ne veut pas d'excuses. « Peu importe. Je suppose que ma présence doit vous insupporter. » Il se souvient qu'elle n'est pas là pour lui. Il arque un sourcil, laisse échapper un regard surpris. « La dame veut mon numéro ? » Il y a tant de mépris dans son ton. Assez pour faire tourner un monde entier. « Je n'ai pas de téléphone portable. » Vérité. Technologie qui lui semble aller trop vite. Il aime la rapidité assis sur une moto. Deux roues. Le vent et le bitume. L'odeur d'essence. « Je suis ici pour affaires » qu'il place, maladroitement. Comme pour se justifier. Il ne regarde même pas les corps lascifs. Surtout pas celui en face de lui. Les yeux fixés sur ses doigts tenant la coupe vide. « Danseuse au Moulin Rouge, hein ?» Bruissement des lèvres, comme le froufrou de deux bouts de soie. L'air nostalgique. Presque humain. « Et marieuse, de toute évidence. Navré, mais vous allez devoir repartir avec une réponse négative. A moins que vous ne souhaitiez prendre un verre avec moi ? Mais vous risqueriez de prendre froid. Et je n'ai plus de blouson à vous prêter. Vous m'avez déjà tout pris » qu'il rit, discrètement. Le cynisme et l'ironie. Il fait tourner le verre entre des doigts habiles. « Presque tout pris. » Et même Priam ne saurait avouer que cette énigme de mots et de souffles est un mystère pour son propre esprit. Qu'aurait-il pu vouloir dire ? Qu'aurait-il pu vouloir cacher, derrière cette simple phrase accentuée, aux tons d'un grec ancien qui remonte au temps des philosophes ? Il ne le sait pas. Ne veut pas le savoir. Presque tout pris, oui. Sauf le plus important.

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Petrouchka Wagner
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyMar 20 Oct - 2:58






Elle ne sait pas pourquoi, elle n'a jamais été douée avec le contact. Même avant, avant qu'elle ne goûte à l'étreinte de celle qui se fait appeler Mort. Plutôt réservée, celle qui n'a jamais su approcher les autres, celle qui a toujours eu cette sensation d'être de trop ou de déranger quand rien de tout cela n'était vrai. Celle qui n'était pas intéressante, qui n'avait pas de péripéties abracadabrantes à conter aux autres. Banale, chétive et sans grande importance. Elle avait tenté, de gravir des échelons, de monter en grade, de faire des gestes gracieux pour qu'on la remarque. Ballet, voie choisie alors qu'elle n'était qu'une adolescente, dessein qu'elle avait tracé maladroitement et de façon abstraite à cause de certains aléas de l'existence, d'imprévus qu'elle n'avait jamais imaginé. Compétition sur compétition. Ne pas parler aux autres, ces autres qui ne sont que les rivaux. Rester dans son coin, approfondir les pas déjà connus, s'abandonner dans les découvertes et gestes inédits. Puis un jour, elle a compris qu'on jouait avec elle. Qu'elle n'était qu'un pion, parmi tant d'autres, qui ne se démarquait pas mais qui le pouvait si elle le voulait vraiment. Mais elle devait certainement faire partie des plus faibles. Simple pas en arrière. Retour à la case départ, et découverte du Moulin Rouge. Les visages, elle en a vu. Des centaines. Des milliers, peut-être. Honteuse d'admettre qu'elle a déjà aperçu ses frères dans la foule. Il y avait ces clients, ceux dont la présence ne lui procurait qu'une indifférence sans égale. Puis il y avait les autres, si peu nombreux, qu'elle n'appréciait pas voir dans les parages. Par gêne. Anxiété. Nervosité. Parce qu'on pourrait la prendre pour ce qu'elle n'est pas. Et Dieu sait que le regard des autres, elle s'en fiche. Pourtant, avec certains...

« Oui oui, bonsoir. » qu'elle laisse glisser dans la conversation, comme pour lui faire comprendre qu'elle souhaite en finir rapidement, qu'elle souhaite mettre fin à une situation qu'elle trouve particulièrement gênante pour elle. Peut-être pas pour lui. Elle ne lit rien sur son visage, ne constate rien si ce n'est ces mêmes yeux fuyards. Mais ça, elle en a l'habitude, elle aussi, alors elle ne les prend pas en compte. Pour elle, c'est normal de ne pas se plonger dans les iris des autres, parce que ça ébranle le comportement, ça fait perdre les moyens et la perte de contrôle, elle n'apprécie pas. Parce que pour elle, ça échappe bien trop facilement. Je n'attendais que vous. Elle se doute qu'il n'est pas là pour elle. Cette idée ne lui effleure même pas l'esprit. Presque pas. De toute façon, il ne savait sûrement pas où elle travaillait avant de la voir en chair et en os devant lui. Surtout de la chair, à vrai dire. « Ah... Oui. Votre moto. » Elle y songe. Réfléchit. Se demande où elle a bien pu éparpiller les affaires de Priam. Le casque, sûrement sur le canapé, encore. Le blouson, elle l'avait certainement laissé quelque part dans les coulisses du Moulin Rouge, la dernière fois qu'elle y a mit les pieds, faute d'avoir trouvé mieux dans son appartement alors qu'il pleuvait des cordes. Et la moto. En sécurité. Normalement. Elle n'y avait plus touché depuis qu'elle lui avait pris. Elle aurait bien voulu, la chevaucher une nouvelle fois avant de la ramener. Ou peut-être encore une autre fois, puis encore une autre, et ainsi de suite. Ça l'a effleuré, l'idée d'aller au Louvre pour essayer d'en trouver le propriétaire. Et par la même occasion, peut-être de récupérer sa propre moto. « Je voulais vous la ramener. Un jour. » Inconsciemment, l'un de ses pieds tape le sol. Une manie, un tic qu'elle a, parfois. Comme les doigts qui pianotent sur la table. « C'était dans mes plans, puis en fait, je trouve plus les clés. » Sourire béat, sourire de la Petra un peu à côté de la plaque, de la Petra maladroite, sourire qu'elle esquisse doucement, qu'on ne perçoit pas forcément dans la légère obscurité. « Je voulais pas traficoter un truc étrange pour la faire démarrer sans les clés. » Surtout parce qu'elle est loin d'être douée. Capable de faire une fausse manipulation. De tout casser. De voir la bécane tomber sur elle-même, se décomposer, finir en miettes et pièces détachées. Ça sonne presque comme des excuses, mais elle ne prend pas la peine d'en faire des correctes. Jamais très douée pour ces phrases qu'elle omet la plupart du temps, préférant les excuses détournées qu'on ne comprend pas forcément. « Et la mienne, elle est où, hein ? » Elle n'a pas pris la peine d'aller la chercher elle-même. Ça aurait été vain, de fouler les pavés de Paris, des arrondissements, à la recherche d'une moto qui n'est malheureusement pas unique. Et on connaît Petra. On sait qu'elle n'a pas retenu sa propre plaque d'immatriculation. Qu'elle a certainement éparpillé les papiers prouvant l'appartenance du deux roues à son nom. « C'est pas que vous m’insupporter, loin de là, c'est juste que ça me perturbe. Ça» C'est dit rapidement, les sourcils qui se sont froncés et la mâchoire qui s'est serrée. Elle ne dit pas quoi. Sûrement la requête. Peut-être autre chose. L'environnement, l'atmosphère ? Pas de téléphone portable. « Sérieusement ? Faudrait penser à évoluer avec le temps qui passe... » qu'elle articule, voix basse pour ne pas se faire entendre. C'est presque ingrat, venant de sa part. « Ça se voit. Que vous êtes pas ici pour je n'sais quoi. Vous êtes comme les autres. Qui viennent pour faire leur business. » Les seuls qu'elle avait l'habitude de voir en meeting professionnels, ils finissaient les yeux rivés sur la scène, leurs affaires jamais réglées (ou étrangement finalisées), l'air joyeux et l'alcool qui avait disparu des verres. « Les cheveux... » qu'elle dit, avec sa main qu'elle porte au niveau de sa propre tête, qui recule comme pour dire qu'ils sont plaqués vers l'arrière. « Et votre... apparence. Enfin c'est pas... Comme si j'avais prêté attention, hein. » Le regard a beau éviter de se poser sur l'interlocuteur, l'observation est quand même entreprise. Peut-être inconsciemment. Mais ça se pose, sur lui, le temps d'un court instant, puis ça observe les murs de la salle. Et ainsi de suite. Danseuse au Moulin Rouge. Elle ne fait que hausser les épaules, ne s'étale pas sur le sujet. « Si vous croyez que ça m'amuse de venir vous demander ça pour l'autre. Mais je peux pas repartir les mains vides. » Je peux pas, sinon je vais devoir monter sur scène, et j'ai pas envie. Elle lève finalement le bras, claque des doigts et une lambda qui travaille dans l'établissement se retourne. Elle la regarde, incompréhension dans les iris alors elle prend la coupe de Priam, doigts qui se frôlent peut-être dans le mouvement, ça freine presque son action mais elle finit tout de même par agiter le verre pour lui faire comprendre qu'elle doit se ramener avec du ravitaillement. Puis elle remet finalement la coupe entre les mains de Priam, comme si de rien n'était, le regard toujours aussi fuyant. « Fait jamais froid, ici. Puis votre blouson, il est pas bien loin, je crois. Si vous voulez le récupérer. » En espérant qu'il n'ait pas été recouvert de paillettes et autres fantaisies colorées qui rendraient la veste beaucoup moins appréciable esthétiquement parlant. « Tout pris ? » qu'elle répète d'une voix amusée. « J'n'ai rien pris. Vous m'avez tout donné. Ou presque, apparemment... » Petra, encore une fois, elle ne croise pas le regard. Elle préfère observer le bord de la table. Elle sait, qu'elle parle plus facilement quand elle n'a pas à affronter les abysses. « Vous m'avez donné votre blouson, vous m'avez obligé à porter votre casque... »  Elle relève la tête, le brin de curiosité qu'on pourrait lire sur les traits de son faciès, l'envie de savoir qui titille l'indiscrétion, semblable à l'enfant quand il reçoit un paquet cadeau mais qu'il ne sait pas ce qu'il y a à l'intérieur. « C'est quoi ? » Que vous avez oublié de me donner. Interrogation naïve et ça s'entend.

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Priam O. Androdomyus
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 25 Oct - 10:18

dance macabre


Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?


Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?



Sa présence avait quelque chose de rassurant. Or, Priam détestait cette sensation d'être rassuré. Hormis avec Ambroise. Il n'avait pas besoin de l'être, mais ce qui était certain, c'était que l'émotion était là, tapis entre ses entrailles d'albâtre. Il appréciait la présence de la demoiselle, c'était un fait avéré au vu de l'amusement qu'elle faisait naître chez lui. Des sourires échangés. Et même si, dans la situation actuelle, ils étaient plutôt en train de se regarder en chiens de faïence, il n'empêchait que Priam avait envie de la garder avec lui. D'éviter qu'elle ne danse, aux yeux de tous, ce soir. Comme on voudrait garder pour soi un petit trésor, à la manière d'un garçon qui veut emprisonner le plus joli scarabée. C'était ridicule, c'était de la jalousie et de la possessivité absurdes, mais Priam les ressentait comme des aiguillons. Même si, dans le fond, il aurait préféré qu'elle soit vêtue autrement. Le rose à paillette, très peu pour lui. Autant être nu. Enfin, si il lui disait ça, elle prendrait ses paroles pour une invitation bizarre, une excentricité venue de la Rome antique. Orgies, bachannales, tout ça. Priam eut un petit sourire et continua de fixer sans pudeur aucune le visage de Pétra, sans pour autant l'abaisser jusqu'au corps alangui sur la table dans un essai bizarrement artistique pour camoufler le peu de tissu et ce qui allait avec.

Le ton sur lequel elle parle de sa moto lui fait froncer les sourcils. Il semble prêt à exploser, à moins que la colère ne soit de l'agacement. Deux rides se creusent dans ses joues sous son sourire inversé, les lippes qui descendent dans le souci qu'il insuffle. « Un jour. » Il a dit ça avec étonnement. Cette femme est réellement hors du temps. C'est fou. Elle a l'air déconnectée de la réalité, et c'est une gargouille qui pense ça ! Il aurait pu trouver cela mignon, si cela n'avait pas eu rapport avec sa moto. Léger soupir, comme le souffle d'une forge trop longtemps éteinte. Relents de pierre humide, de poussière, l'odeur du temps. « J'apprécierai si vous pouviez retrouver les clés. J'aimerai la récupérer rapidement. Je risque d'avoir besoin de sa motricité et de sa vitesse. » Ou comment insulter la moto qu'il avait volé à son tour pour rentrer. Il aurait pu la délaisser tel un cadavre inerte et métallique, et s'envoler dans le ciel gris. Mais il n'avait pas eu le coeur aussi froid. Il aimait passionnément les choses vivantes, et les moto. Il avait réussi à lier fils et à faire ronronner le moteur. Il arrivait toujours à faire ce qu'il désirait, Priam, quitte à y prendre beaucoup de temps. Ce n'était pas comme si il craignait qu'il lui échappe, ce temps-là ... « La vôtre ? Bah, qui peut le dire ? Je me la suis faite voler en la garant en bas de chez moi.» Mensonge amusé. Est-ce qu'elle va gober ça ? Mais Priam est un enfant. Il a ce besoin impérieux de raconter ses illusions. Comme si, une seule seconde d'appréhension suffisait à vaincre. Une seule minute de croyance faisait que sa bêtise était pleine et assumée. « Elle est garée dans mon garage. Bien au chaud, à l'abri. Il y a juste quelques fils que j'ai du bricoler. Vu que vous aviez mes clés et les vôtres. » Comme un chirurgien qui opère sur un coeur fait de valves, de métal et de pistons. Il a l'air de savoir ce qu'il fait - c'est l'avantage d'être une gargouille, à force, on peut modeler son visage de telle sorte qu'on a toujours l'air de savoir ce que l'on fait. Même si ce n'est pas toujours le cas.

Loin de là. Ca lui plaît. Une émotion vive et brûlante. Mais la remarque fait taire cette douce sensation et il grimace. « A quoi cela me servirait-il, quand ceux que j'aimerai appeler sont morts ? Ceux que je désire contacter, je vais les voir. Votre technologie grandit avec votre paresse.» Donneur de leçon, pierre froide et alerte. Une espèce de vieux en armure de grès et de silex. Un papy au masque de jeunesse. Son sourire s'élargit aux dires de Pétra. C'est amusant, presque touchant, de la voir tenter d'expliquer qu'il n'a pas l'air de vouloir voir des jambes nues et des fesses s'agiter sous son nez. « Non. Bien sûr. Jamais je n'aurai l'outrecuidance de croire que vous pouvez m'observer. » Ca pourrait être pris comme une boutade. Ce n'en est pas une. Il n'a réellement pas l'arrogance de pense qu'il peut être admiré. Quand il apprécie une tenue, il la met. Il aime se trouver séduisant, mais peu importe ce que les autres pensent. Priam se demande cependant si Pétra l'a réellement détaillé, et si oui, comment. Elle semble faire des efforts incroyables pour ne pas le regarder. L'éternel s'en agace. « Voudriez-vous que je mette ma tête dans un sac, pour que vous posiez enfin les yeux sur moi ? » Tranchante, vexée peut-être. La voix qui s'élève, murmurante. Il se fiche de l'autre. La blonde. Il l'a déjà oubliée, rangée dans un tiroir des nombreux visages qu'il a croisé dans sa longue vie. Ce n'est pas elle qui importe. Mais ce n'est pas pour ça que Pétra importe aussi. Tentative enfantine de réduire la demoiselle à ce qu'elle n'est pas. Un simple visage. Mais déjà, il le sait, il le sent. Elle est plus que ça. Il reprend son verre après avoir observé le manège et son regard se détourne. Durant un instant, alors qu'elle commandait d'un geste sec, impérieux, il lui a semblé voir en elle une reine de la nuit. Une impératrice en bikini à paillettes. « Pas bien loin ?» L'a t-elle pris avec elle, alors ? « Non. Gardez-le. Il vous sert plus qu'à moi. » Et si elle a froid, elle le brûlera.

Bien entendu. Elle n'allait pas laisser échapper ses paroles énigmatiques. Le voilà pris au piège de ses propres discours. Priam a soudain l'air, non pas paniqué, mais troublé. Un trouble qui se lit sur son visage fuyant. A son tour de regarder ailleurs. Avec pudeur, il délaisse la scène et porte ses iris de nuit sur l'intérieur, l'architecture. Mais Pétra ne se contentera pas d'un silence. Alors il boit une gorgée pour se donner contenance. « Si je vous le disais, vous voudriez l'avoir.» Un défi. Non, pas de défi. C'est mal. « Rien d'important. Rien n'est plus important que ma moto. » Mais en vérité, il y a plus important, bien sûr. Il l'a si peu donné. Il l'a souvent perdu. Il ne pensait pas encore en avoir, en lui. La patience de le voir naître. Mais ce ne se peut pas, ça ne se fera pas. Il étouffera sa création d'un souffle rauque. Mieux vaut changer de sujet. Elle ne lâchera pas le morceau, mais il la repoussera. Mieux vaut, pour elle. Elle serait capable de s'en faire un objectif. « Mes clients ne vont pas tarder. Voulez-vous rester avec moi ? Plutôt que de monter sur scène ou de devoir affronter ... l'autre. » Sourire. Peut-être lui a t-elle dit son nom, mais il ne s'en souvient déjà plus. Il boit encore. Brûlure liquide, qui détourne l'attention du bouillonnement interne. Il est parfois bon d'être de pierre, et il s'en rend compte. Il est parfois bon d'être froid, d'une pâleur morbide, car quand se réveillent en vous l'humanité, ce n'est jamais agréable.

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Petrouchka Wagner
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptySam 31 Oct - 16:57







Longtemps, elle a cru qu'elle allait pouvoir faire des choix qui ne seraient que bénéfiques pour elle. Se retrouver au Moulin Rouge, c'était moins prestigieux que la voie précédente qu'elle avait souhaité emprunter. La renommée n'en était peut-être que plus grande, à se dandiner indécemment sous les regards cupides, mais la passion pour la danse n'avait finalement laissé qu'un certain dégoût et une amertume par rapport à ce qu'elle faisait dans l'établissement. Quelque chose qu'elle n'apprécie plus, les mouvements qu'elle s'efforce de faire correctement pour satisfaire ceux qui la paient, la paresse dans l'esprit qui lui dit tout bonnement de lâcher l'affaire, de simplement partir, de trouver une autre profession qui pourrait lui donner un meilleur épanouissement. Mais elle savait que ça ne durerait pas longtemps. Que le sentiment de renouveau, de bien faire et le semblant d'apaisement, allait disparaître aussitôt qu'elle aurait commencé à apprécier ce qu'elle faisait. Ça avait toujours été ainsi, s'était déroulé de la même façon à chaque fois qu'elle avait tenté de faire autre chose que de se mettre sur le devant de la scène. Pourtant, elle n'aimait pas être observée. Se sentir épiée, savoir que les iris sont posés sur sa silhouette, savoir qu'on la toise de haut en bas et que les jugements façonnent les pensées qu'elle n'apprécie pas forcément. Parfois elle se demande comment aurait été sa vie si elle avait décidé de rester à Vienne, si Paris ne l'avait jamais appelé. Puis elle se souvient, des monstres qui l'ont entouré. De celle qui a gâché ses envies alors qu'elles avaient moins de dix ans. Elle préfère ici. Elle préfère la France, Paris. C'est loin, de l'autre bout de femme qui lui a tout pris. Ou presque.

Retrouver les clés. Elle lève doucement les yeux vers le plafond. S'il savait à quoi ressemblait l'appartement dans lequel elle vivait, même lui et son éternité ne pourraient pas retrouver les clés qu'il lui avait donné pour démarrer cette moto. Une fois qu'elle perdait quelque chose, il était bien trop difficile pour elle de mettre la main dessus à nouveau. Elle a toujours pensé qu'il y avait certainement une sorte de trou noir qui aspirait tout ce qui tombait sur le plancher et que c'était pour ça qu'elle ne retrouvait jamais ce qu'elle pouvait bien chercher. Elle fait comme si ce n'est pas de sa faute, le bazar qui encombre l'espace de son logement, mais au fond, elle sait qu'un jour elle devra se résoudre à faire un vrai tri et pas un simple « je cache tout sous les meubles et c'est propre » alors que pas du tout. « Vous insinuez que ma moto n'est pas assez bien pour vous ? » Elle plisse les yeux, fronce légèrement les sourcils. L'expression sérieuse sur son visage. Rabaisser sa bécane c'est comme s'en prendre à sa propre personne, si ce n'est pire. Pourtant, elle est loin d'être matérialiste, ne fait pas vraiment attention aux choses, n'en prend pas soin comme certains le font avec ce qu'ils possèdent. Sauf avec sa moto. Voler. Le souffle se coupe pour quelques instants, elle aurait bien voulu lâcher un cri ou quelque chose pour montrer l'outrance, mais on ne lui laisse pas la possibilité, seulement le temps pour son visage de doucement se décomposer, les épaules tendues avant de se calmer. Elle en oublie les fils qu'il a dû bricoler pour la faire démarrer. C'est pas si grave, ça, comparativement au fait de se la faire subtiliser. Ça fait passer la pilule plus facile de faire croire au vol et de lui dire au final, qu'il a simplement dû la traficoter. « Je vous avais proposé mes clés. » Qu'elle dit, les épaules qui se haussent. Phrase lâchée qui laisserait presque penser qu'elle avait prévu depuis le début de partir avec la moto de Priam, alors que non. Bien qu'elle sache qu'elle est capable de ce faire ce genre de choses.

« Et si ceux avec qui vous voulez parler sont loin, vous faîtes comment ? » Elle lui donne tout de même un bon point quant au fait que la technologie rend les choses bien plus faciles et que malheureusement, ça joue sur les vivants. Ceux qui sont devenus fainéants, qui ne bougent plus et préfèrent rester accrochés à leur téléphone portable ou autres objets révolutionnaires pour garder contact avec les autres, proches ou inconnus. Elle déglutit. Se sent presque coupable d'avoir jeté quelques regards, d'avoir observé un peu trop minutieusement l'homme alors que d'habitude, elle préfère totalement jouer la carte de la discrétion, et se contenter de fixer un des murs, la table, le plafond, ses propres mains, hocher la tête quand elle pense que c'est judicieux, se taire et ne pas chercher à faire continuer la discussion. On sait qu'elle fuit les regards, que poser les iris dans ceux des autres n'est pas quelque chose qu'elle a l'habitude de faire. Ni même avec ses frères. Elle se permet de lâcher un soupir agacé, au bord de la nervosité. Elle ferme les yeux un instant, déglutit avant de les rouvrir et de plonger son regard dans les yeux sombres face à elle. « Content ? » La mâchoire se resserre, mais elle fuit le regard une nouvelle fois. Commander un nouveau verre, comme si de rien n'était. Elle a l'habitude, n'hésite pas à interpeller.

« C'est parce que c'est la première chose que j'ai pu attraper quand il pleuvait. » Qu'elle articule pour se justifier. Qu'on ne pense pas qu'elle l'ait pris pour une autre raison qui serait certainement fausse et injustifiée. « Woah. » L'esquisse d'un sourire, les pupilles fixent le verre et remontent vers le visage de Priam. « Vous me donnez votre veste, après quoi ? » La fausse espérance sur les traits. « Votre moto ? » Elle n'en voudrait pas. Ce n'est pas la sienne. Ne l'a pas mérité. N'a pas travaillé pour se la payer elle-même. Pas comme avec son tas de ferraille. Elle n'attrape que ce qu'elle n'est pas digne de posséder, car on n'apprécie plus de la même façon. On ne ressent pas la satisfaction de se dire « Je l'ai eu grâce à mes propres moyens ». Autant dire que Petra et la cadeaux, ça fait deux. « Mais... » Soupir. Pointe de déception. Elle réfléchit. Rien n'est plus important que ma moto. Et Petra, elle lui a presque tout pris. Ça ne concorde pas avec ce qui a été dit plus tôt. Paupières qui se plissent, regard inquisiteur qu'elle ne dissimule pas, qui essaie d'attraper celui qui fuit. « Vous voulez aussi que je mette ma tête dans un sac pour que vous puissiez regarder par ici ? » Boutade. Elle a les bras croisés, le menton légèrement relevé. « Vous mentez. » L'accusation lâchée quand bien même elle ne pouvait pas expliquer pourquoi elle l'a dit. Du moins, pas vraiment. « J'ai votre moto. J'ai pris la chose la plus importante à vos yeux. Donc je vous ai tout pris. » Petra, quand elle parle, il y a les gestes qui vont avec. Comme pour souligner les phrases ou explications qu'elle essaie de mettre en avant. Mais comme elle n'a jamais été bien douée pour communiquer, ça reste parfois flou. « Sauf que vous avez dit que je vous ai presque tout pris. Donc... » Donc, vous mentez. Elle laisse la phrase en suspens.

Rester avec moi. « Vos clients, c'est qui ? » qu'elle demande bêtement. Elle ne sait même pas dans quel domaine il travaille exactement, le sait juste employé au Louvre et ça reste un établissement assez vaste pour deviner quel profession il exerce. Elle hausse les épaules. « Je veux bien rester. Mais c'est pas parce que j'ai peur de l'autre ou de monter sur scène, qu'on soit d'accord. » Elle n'a peur de rien. Du moins, c'est ce qu'elle se plaît à penser. Ça réconforte, d'une façon ou d'une autre. Petra, elle n'a pas l'habitude de s'assoir dans le public. De se fonde dans la masse de ceux qui sont sur les chaises, et non pas sous les projecteurs qui aveuglent. Alors quand elle le peut, elle y reste, dans la salle, là où les spectateurs observent. « Sauf si vous faîtes des affaires louches... » Elle se méfierait presque. Doute. On ne sait jamais. « Rassurez-moi, c'est légal, ce que vous faîtes avec vos clients, hein ? » N'a pas envie d'être embarquée dans un deal étrange, même s'il n'a pas l'air d'être du mauvais bord. Elle en a bien trop connu, des crasses dans lesquelles elle a foncé tête baissée, pour vouloir en faire à nouveau partie.


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Priam O. Androdomyus
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptySam 31 Oct - 17:46

dance macabre


Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?


Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?



Il ne peut pas s'en empêcher. De l'observer, elle, et de songer à toutes celles qu'il a pu croiser lors de son millénaire d'existence, lors de ses mille cinq cent ans de vie. Les visages aux traits tragiques. L'abîme à l'humanité. Celles qu'il a aimé, celles qu'il a perdu, toujours. Ceux qu'il a adoré, ceux qui ont souffert et ont dépéri. Il a toujours apprécié le côté vivant des autres. C'est pour ça que ses plus belles relations ont eue lieu avec des humains. Savoir qu'ils finiraient leur vie alors qu'il continuerait à porter leur souvenir. Eternité volée. Le coeur fané. Plus jamais. La pierre qui devient l'armure. Les crocs qui disparaissent, les sourires rares et les caresses flétries. Parfois, Priam se demandait comment Ambroise pouvait encore aimer. La dernière guerre les avait séparés, pour qu'ils se retrouvent avec plus de facilité aujourd'hui. Le temps avait passé à une vitesse lumineuse et subliminale. Clignement de paupières, et les années pâlissent, ternissent, jusqu'à tomber en poussière. Il voudrait devenir statue. Ne plus avoir à se sentir tomber en morceaux, quand la perte des autres le brise. Il essaye, avec cynisme, de ne voir chez les autres que des futurs cadavres. Mais Pétra ... Pétra elle est déjà morte, non ? Et elle est revenue. Ressuscitée. Elle est unique, pour Priam. Multite de faucheurs, mais une seule Pétrouchka.

La musique vacille dans ses oreilles. Il rêve de retrouver le temps où tout était différent. Il aurait aimé montrer son passé à Pétra. Lui permettre de voir à travers ses yeux. Peut-être qu'ils partagent plus encore qu'une simple passion dévorante pour leurs deux amours mécaniques. « Je dis juste que ma moto est plus rapide. Plus véloce. Ne le prenez pas pour vous  » qu'il murmure avec une légère moquerie. Il sait qu'elle le prendra pour elle. Qu'il la vexe en insultant presque sa propriété. Il s'amuse. Priam ressent une exaltation vraie et sincère. Le coeur qui tambourine dans les côtes de diamant. « J'aurai du les prendre. Et les perdre. » On ne l'arrête plus. Il est loin d'être aussi confiant que ce qu'il voudrait paraître. Mais il joue. C'est ce qu'il fait de mieux. Ça et protéger. Il passe le bout de ses doigts sur le rebord transparent de son verre, comme pour en effacer les traces vaporeuses de ses lèvres froides. « Si ceux que je désire voir sont loin, je les retrouve. » Aussi simple et implacable que cela. Mais ce qu'il ne dit pas, c'est que parfois, le manque arrive trop tard. Que ses amis ont déjà trente ans de plus, et que l'absence marquante se solde par une visite au cimetière. Les phalanges qui blanchissent sous la serre de pierre, les doigts qui agrippent le verre comme le salut.

Content ? Il a à peine le temps d'entrevoir les prunelles. Les siennes tentent de s'accrocher, avec un presque désespoir, à celles de la demoiselle, mais déjà elles fuient, repoussent le contact, échappent à ses billes noires. « Oui. » Pourquoi est-ce qu'elle a du mal à tenir les regards ? Il n'aime pas ça. Priam, il préfère le contact d'yeux à yeux. Plus franc. Il plisse les paupières et hausse les épaules. « Je n'imaginais absolument rien d'autre. La première chose que vous avez prise, parce qu'il pleuvait, je vois. » Il a cette agaçante voix, qui ne sait dire si il y a des sous-entendus ou non. Priam pourrait cacher moult secrets ancestraux sous ce timbre grave et un peu musical, où l'on peut entendre l'ironie si on la cherche. Est-ce qu'il lui donne sa moto, ou son blouson ? Qu'est-ce qu'il est en train d'offrir, exactement ? Difficile à dire. Il préfère ne rien dire. Ça lui laisse du temps pour réfléchir à que répondre. La pique touche. La lance gangrène le coeur. Il grimace et le menton fier, le regard arrogant et flamboyant, il pose les yeux sur Pétrouchka. Il n'a jamais su résister à un défi, trop joueur. « Cela pourrait nous arranger, vous n'auriez plus à me regarder, et nous n'aurions plus à esquiver le regard de l'autre comme si nos iris étaient des couperets dangereux» qu'il grince, avant d'avaler d'une rasade le contenu dans son verre. L'ivresse au désir. Vainement. Il reposa un peu brusquement le verre sur la table. Il est nerveux. Il est perdu. La gargouille a du mal à comprendre ce qu'il fiche là. Ce qui peut bien l'amener à consulter la foule qu'il doit protéger. Et voilà que la faucheuse le titille, avec éloquence. Nouveau regard noir, mais il ne peut voiler son amusement. C'est qu'elle voudrait vraiment savoir, presque, pour tout me prendre, la petite maline. « Bien sûr que je mens. » Assurance désinvolte. Pourtant, Priam, il est franc. Il est honnête. Mais on ne perdure pas des siècles sans parfois devoir camoufler, cacher, jeter des illusions et de la poudre aux yeux des gens. « Peut-être que je n'ai pas envie de réaliser que ma moto ne vient qu'en deuxième position sur ma liste des choses importantes ? Cruelle, qui me mettez face à la réalité » qu'il lâche d'un ton théâtral, avec une pointe d'accent londonien, digne d'un Shakespeare moderne.

Le regard qui tourne, qui cherche les trois hommes. Ambroise lui a donné les noms, les descriptions. Nulle part. Froncement de sourcils. « Trois artistes. » Il la regarde. Comme si il voulait lire à travers elle. Comme si, dans son silence, la question pourquoi alors résonnait. Mais il a le tact, la discrétion ou simplement l'amusement de ne rien demander. Des affaires louches. Il éclate de rire. Que va t-elle imaginer encore ? Mais son côté gamin remonte. Le besoin de jouer des tours. Peter pan de pierre. « Légal, tout de suite ... Ca dépends. Vous tenez à vos organes ? » Mais la maladresse de la boutade le fait rétorquer de suite, pour gâcher sa blague moisie. « Je suis surveillant au Louvre. Le directeur est un ami proche, comme mon frère, et il m'a demandé en tant que gardien des oeuvres, de venir discuter avec trois artistes afin de les convaincre pour une exposition. Rien de louche, promis.» Une promesse bizarrement candide. Il lève le regard. Les trois sont là. Il se lève d'un bond fauve, il est assis et l'instant d'après, debout de sa haute stature à faire un geste du bras. Les trois hommes approchent, le regard curieux vers Pétra, puis ils semblent se mettre d'accord et s'assoient à la table, non sans saluer Priam d'une poignée de main et Pétra d'un hochement de tête. « Priam Androdomyus. » Les présentations officielles. Le ton de la voix fait comprendre que Pétra peut parfaitement rester. Qu'elle est là, qu'elle ne partira que si elle le veut. « Monsieur Corneille n'a pu se déplacer, et m'envoie à sa place. Il vos présente ses meilleures salutations. » L'ennui qui reprend sa place. Mais Pétra est là. Et, presque gauchement, Priam tente d'impressionner. Elle ou eux, ça reste encore à voir. L'alcool tourne, les négociations se font rapidement, et les artistes acceptent bien vite de participer à l'exposition. Avec le regard et les sourires de Priam, et la générosité du Louvre, ils n'auraient pu refuser. Alors que les trois hommes se lèvent pour fumer, Priam résiste à l'envie de les rejoindre pour partager le goût du tabac, et se penche vers Pétra. « Quel métier palpitant fait mon ami. Je préfère encore surveiller l'art de l'humanité » qu'il glousse comme un gosse. « Ca a sûrement dû être encore plus ennuyeux pour vous que pour moi. » Ou une façon toute nouvelle de s'excuser d'avoir dû la clouer à ces trois créatifs mais barbants. « Ne vous retournez pas. L'autre nous observe. » Priam a toujours agi par réflexe. Il ne sait pas ce qui lui prend, mais comme pour narguer l'autre, il se penche plus encore, et remet une mèche de cheveux derrière l'oreille de Pétra avant de se redresser et de retourner à son verre d'ambre liquide. « Vous n'aurez qu'à lui dire que j'aime les hommes, si elle tient tant que ça à avoir des explications. » Il lâche ça, tranquillement. Il ne tenait pas spécialement à aiguiller la curiosité de Pétra, il voulait juste lui éviter une dispute. Il cligne des yeux et observe la scène d'un air d'ennui profond.

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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 1 Nov - 2:51






Alors même que son regard semble des plus fuyards et évadés, on a cette impression que la brune repère chaque détails. Qu'elle dissimule cette investigation qu'elle entreprend, qu'elle note chaque chose qu'elle perçoit mais n'en fait usage que quand elle pense que c'est utile. Elle pourrait certainement décrire la pièce dans laquelle elle se trouve, quand bien même elle la traverse chaque soir, mais pourrait surtout dire quels sièges sont occupés ou non, les têtes familières qu'elle a pu croiser bien trop de fois pour en retenir le nombre, ceux qu'elle n'a jamais encore rencontré, différencier les touristes de passage aux habitués. Elle a appris à observer, à utiliser la vue plutôt que la parole. Elle, c'est celle qui préfère user de ses yeux, qui préfère scruter, fixer, dévisager ou contempler. Malheureusement pour elle, accrocher son regard aux faciès n'est pas quelque chose qui plaît. Généralement, on le prend mal, surtout quand on fait face à des inconnus. Pourtant, fut un temps où elle aimait bien, les regarder, observer leurs mouvements, voir les manières et habitudes qui en émanaient. Puis on lui a finalement fait la remarque, plusieurs fois. Que c'est apparemment intimidant, de cramponner son regard sur un visage d'incompréhension. Que c'est peut-être aussi malpoli. Mais Petra, ça lui permettait de lire les esprits. Ou d'essayer, du moins. Elle l'a sans doute mal pris, à l'époque. A commencé à baisser les prunelles, puisque ça semblait faire plaisir à une bonne poignée de personnes. N'a plus l'habitude de relever le menton pour épier d'un œil fureteur, a compris la sensation ressenti par les autres quand on la toisait sans raison apparente, ou qu'on faisait comme elle, qu'on voulait découvrir qui se cachait réellement derrières les abysses. Elle s'est finalement fait plus petite, plus discrète, les regards rapides sur les sujets qu'elle veut détailler, mais n'a jamais pris le temps d'offrir ses iris pour qu'on puisse en deviner des hypothèses sur sa personne, aussi bien incorrectes que véritables.

Ne le prenez pas pour vous. Elle a envie de montrer le certain mécontentement qu'elle ressent, l'expression tout de même changeante par rapport à précédemment, la moue qui s'est dessinée et qu'elle n'a pas réellement cherché à déguiser en un autre ressenti. De toute façon, il y a toujours les doigts qui tapotent sur le bord de la table, la manie qu'elle ne contrôle pas et dont elle ne se rend même pas compte. C'est instinctif, ça montre aussi bien la déception et l'agacement à cause des mots prononcés, que la nervosité qu'elle ne mentionne pas. Elle ne ne veut pas répondre pas à ce qu'elle considère comme une attaque, préfère faire comme si elle n'avait pas entendu quand bien même ça la démange presque d'articuler quelques mots pour construire une jolie réplique qu'elle pourrait articuler fièrement. Elle laisse tout de même échapper un « Bien sûr que si je le prends pour moi. » qu'elle marmonne dans la barbe qu'elle n'a pas, et poursuit. « Vous avez pas l'air de quelqu'un de maladroit qui perd énormément de choses, vous. » Pas comme elle, alors que c'est loin d'être intentionnel. C'est juste une manière qu'elle a acquis avec le temps, être désorganisée et laisser traîner les affaires ici et là alors qu'elles se perdent petit à petit sous les nouvelles, celles qui s'accumulent. « Et si c'est eux qui souhaitent vous voir, ils font comment ? » Parce que ça ne marche vraisemblablement pas que dans un sens. S'il ne peut pas les joindre, eux non plus ne le peuvent apparemment pas, même si la conviction et l'envie y est. Elle comprend néanmoins que l'usage d'un téléphone portable ou d'une quelconque autre technologie de communication directe, ce n'est pas forcément le plus agréable. Elle le sait, avec ses frères qui ont eu cette période infernale, qui ne cessaient de lui envoyer des messages et qu'elle constatait en fin de journée les innombrables appels manqués.

Elle observe le verre qui se lève, qui se porte jusqu'aux lèvres, arrête son mouvement de tête pour ne pas se surprendre à observer le faciès et rabaisse les yeux. « Ce n'sont certainement pas des couperets... » qu'elle lance dans l'évidence alors que ses doigts se joignent entre eux pour jouer ensemble, manie exécutée quand elle ne sait plus quoi en faire. Elle n'aime pas ne pas bouger, n'aime pas rester immobile comme un piquet, a besoin de bouger l'un de ses membres, son pied qui tape légèrement contre le sol ou les jambes croisées dont le pied en hauteur pivote. L'un, ou l'autre, c'est quelque chose qu'elle fait bien trop souvent. On lui a dit que c'est à cause de l'anxiété. Elle veut bien y croire et dans ce cas-là, ça voudrait simplement dire qu'elle est constamment angoissée, sans qu'elle n'en sache la raison particulière. « Mais les regards restent dangereux et... perturbateurs. » Et elle n'aime pas être prise au dépourvu. Les regards cassent sa carapace et elle devient rapidement moins confiante dans les discours qu'elle tient dès lors qu'il s'agit de planter ses yeux dans d'autres. Il ment et il l'avoue. Ça lui fait étirer un sourire, à la pseudo-danseuse, c'est avoué si promptement qu'elle en vient à se demander si le mensonge n'est pas dans la phrase qu'il vient de prononcer. « Vous préférez vivre dans l'illusion plutôt que d'accepter le fait qu'il y ait une chose plus importante que votre moto ? » Elle penche la tête sur le côté, mouvement qui souligne l'incompréhension, l'incapacité à concevoir le concept de la chose. « Je comprends pas. » Comme souvent. Naïveté qu'elle laisse paraître aussi bien dans l'expression que dans la voix, elle vient à réfléchir à ce qui est le plus important pour elle. Et elle doit s'avouer que c'est assez flou. Si elle admet facilement que sa moto fait partie intégrante à sa vie, elle sait bien que ça ne peut pas être la chose à laquelle elle tient le plus et qu'elle pourrait la donner, la bécane, si c'était vraiment nécessaire.

Trois artistes. Le rire retentit, puis elle ne sait pas si elle doit s'en méfier ou esquisser l'ombre d'un sourire. Dans le doute, elle reste impassible, les yeux très légèrement plissés. Elle peut presque y croire à la machination, elle peut presque se prendre au jeu naïvement et penser que c'est un trafiquant d'organes. Toujours soupçonneuse, comme si elle pouvait apercevoir le mal partout alors que ce n'est en réalité qu'une simple blague qui vient se glisser dans la discussion. Petra, faudrait qu'elle pense à se détendre, à baisser cette garde toujours levée. L'explication qui suit la soulage. De toute façon, elle se doute qu'il n'est pas étrange. Pas si étrange, pour une créature. Ou peut-être est-ce juste qu'elle ne veut pas croire au fait qu'elles soient toutes maléfiques et dotées d'un mauvais fond. Elle se contente de hocher la tête comme pour lui dire qu'elle le croit, ne prend pas la peine d'énoncer ces quelques termes car ça peine toujours à sortir de vive voix. Les clients arrivent et elle ne se permet qu'un signe de la tête à leur égard. Elle ne les connaît pas, ne les a jamais croisé. Ou bien vaguement. Des visages qui semblent familiers, mais pas plus que ça. Dans leurs accoutrements, ils se ressemblent tous, suivant les codes vestimentaires adéquats pour ce type de rendez-vous. Elle n'écoute que d'une oreille, retient les quelques mots qui traversent ses tympans mais ne prend pas la peine de donner son entière concentration. Ce ne sont pas ses affaires, à elle. Et elle ne s'est jamais imaginée dans la position de Priam. N'a jamais rêvé de passer des contrats ici et là, comme lui ou le directeur qu'il venait remplacer. Ça papote, de choses qu'elle ne comprend pas forcément, et elle, elle préfère se perdre dans ses pensées. Elle ne sait pas combien de temps ça fait qu'elle est assise, là, alors qu'elle avait dit qu'en environ cinq à dix minutes, elle aurait réglé l'affaire. Mais ça s'avérait plus difficile que prévu. Pas de numéro. Et j'ai pas envie de le donner, lui, à elle. Elle a fermé les yeux en y songeant, a secoué la tête de droite à gauche comme pour faire disparaître cette réflexion sortie de nulle part, selon elle. A peine rouvre-t-elle les yeux que les trois autres se sont levés. Elle les observe, déambuler, se dissiper derrière d'autres silhouettes.

Elle dessine un sourire. Ce n'est certainement pas un métier qu'elle ferait même si on le lui tendait tout prêt tel un cadeau. « Non non, c'n'était pas ennuyeux. » qu'elle dit, alors qu'elle n'a écouté qu'une infime partie de la conversation entre les quatre individus. Elle a fait mine d'écouter, elle hochait même parfois la tête comme pour montrer qu'elle avait une oreille attentive, et seulement une, alors que les mots rentraient d'un côté et ressortaient de l'autre. Ne vous retournez pas. La phrase qui lui donne envie de se retourner, elle prévoit de le faire mais la suite l'arrête. Elle n'a pas besoin de voir l'expression de sa collègue derrière elle, a simplement envie d'ignorer la mission qui lui a été donnée, juste une fois, juste cette fois. Elle ne fait pas attention à Priam, qui se penche, et manque de sursauter dès lors que le contact se fait, la mèche remise à sa place initiale. Le frisson qu'elle ressent, qu'elle ne trouve pas désagréable mais qui la chamboule. Elle ne peut pas trouver ça agréable, car cela ne l'a jamais été les autres fois. Les muscles ne font que se tendre, se détendent aussitôt dans une expiration qu'elle contrôle pour que ça paraisse normal. Vous n'aurez qu'à lui dire que j'aime les hommes, si elle tient tant que ça à avoir des explications. Un serveur passe à côté d'elle, elle tend l'un de ses bras pour attraper rapidement le premier verre qui tombe dans sa paume qu'elle referme sur elle-même. L'odeur de l'alcool lui monte aux narines, elle n'a pas l'habitude d'en boire. N'en a jamais vraiment bu, d'ailleurs. Elle ne pourrait même pas dire ce qui se trouve dans son verre, mais elle en boit le contenu qui lui arrache une grimace, liquide qui brûle la gorge et bien trop infecte pour qu'elle puisse en redemander. « Non non non... » qu'elle dit, le mouvement de tête qui va avec la phrase prononcée. « Si je lui dis ça, elle va... Voir une sorte de challenge. » Elle observe le fond de son propre verre, la mine déconcertée par ce qu'elle vient d'avaler, comme le besoin d'aller se désinfecter le palais avec quelque chose de plus sucré. « Et ça va être pire. » Elle marque une pause. « Même si ce que vous dîtes est vrai. » Elle hausse les épaules, ne sait pas trop si elle y croit ou non. N'a jamais totalement cru aux mots prononcés, ne peut qu'en être certaine en levant les yeux pour essayer d'y voir une part de vérité dans les iris de l'autre. Mais ça, ça signifie qu'elle doit elle aussi se faire analyser par un regard inquisiteur et elle ne peut pas s'y résoudre aussi facilement. « Elle va persévérer, vous voyez ce que je veux dire ? » Elle avale le fond de son verre, songe au comportement de cette femme qu'elle n'apprécie pas vraiment. Sans plus. « Comme si elle en avait pas déjà assez. » qu'elle lâche d'une voix basse. Pas de la jalousie, pas de l'envie, mais plutôt un certain dégoût pour ceux et celles qui vont à droite et à gauche volontairement.  


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Priam O. Androdomyus
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 1 Nov - 11:51

dance macabre


Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?


Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?


L'oubli est une chose merveilleuse. Un effacement volontaire, qui délaisse les souvenirs, avec une miséricorde égoïste. Combien de fois aurait-il aimé, Priam, négliger un détail appris de longue date ? Annihiler une réminiscence, pour mieux continuer à presque-vivre. Mais Priam ne pouvait pas. Comme il n'avait pas l'occasion de mourir. L'âme brisée. Il sourit doucement à la question intelligente, qui fait tinter une petite clochette dans l'intérieur de pierre. L'architecture ébranlée. « J'ai souvent apparu dans différentes vies. Mais je suis comme les ombres : je finis par m'effacer et disparaître. Je suppose donc que si l'on désire me contacter, cette envie se dissout dans les années. Je finis toujours pas m'effacer. » Acide prophétie. Comme pour signifier que peu importe ce qui pourrait se passer, dans dix ans, peut-être vingt, Priam sera parti. Le monde n'a plus de secrets pour lui, mais il se doit de se mouvoir. Comme les vampires, il ne vieillit pas, et trop longtemps au même endroit, c'est laisser voir à l'humanité les failles ombreuses de leur monde surnaturel. Pourtant, Priam le sait : il a souvent eu envie de retrouver de vieux amis. Ceux avec qui il s'était battu. Ceux qu'il avait protégé. Ceux qui l'avaient défendu, des armes inefficaces ou des insultes offensantes. Il avait aimé ceux qui avaient partagé sa vie, mais on ne s'attache pas aux flammèches aussitôt éteintes. La gargouille au coeur trop plein. Il s'était promis de ne plus tomber sous le charme d'une quelconque vie. Il avait trop perdu, trop souvent, trop longtemps. Mais on ne peut amoindrir une nature aussi séculaire que celle d'une gargouille. Il était condamné à aimer ceux qu'il devait protéger, et à les voir mourir, à les savoir bientôt condamnés. Il avait perdu la foi, et de telles pensées ne pouvaient résoudre son humeur maussade.

« Parce que regarder quelqu'un dans les yeux, c'est observer son âme ?» La citation dont l'auteur se perd dans son savoir n'a jamais eu autant de sens. Oui, observer les iris, c'est fendre les carapaces. Peut-être est-ce cela, qui la gêne. Qui l'embarrasse lui-même, teinté du désir d'accrocher leurs essences, tout en craignant ce qu'elle pourrait voir. Ce qu'elle pourrait ne pas voir. « Peut-être bien. Les illusions peuvent être douces. Et repousser le danger qu'il y a dans la vérité. » Elle ne comprend pas, bien entendu. « Si je me voile la face, cela m'empêchera de vous avouer ce qui m'importe. Et vous n'aurez pas à chercher comment me le subtiliser » qu'il sourit d'un air félin, le regard se voilant d'une flamme dorée comme celle des chats. Mais il réalisait. Doucement. Douloureusement. Qu'est-ce qui pouvait être éternel, chez une gargouille ? Qu'est-ce qui ne pouvait pas disparaître, totalement, qui ne pouvait se faner à jamais, en même temps que la pierre, s'étiolant et renaissant comme au printemps des vies ? Les émotions. Les sentiments. Ce qui était plus important, pour Priam, c'était son coeur. Celui qu'il avait cru de craie et de silex, et qui se réveillait comme une corolle gorgée de soleil.

Les trois clients arrivent à point pour détourner l'attention. Il ne voudrait pas avoir à continuer cette conversation. Alors il se jette à corps perdu dans les transactions. Il revient souvent à Pétra, son regard glissant su elle presque discrètement. Il lui jette de petits sourires quand les artistes se concertent. Il se sent presque coupable de l'ennuyer avec tout ça. Si ce n'était sa tenue étrange à paillettes qui l'amuse et qui semble le détourner de l'ennui qui le plaque et l'englue dans les discours barbants. Alors quand ils s'en vont, il jette des mots. Heureux de se retrouver seul avec elle. « Bien sûr que si, ça l'était. Mais au moins, votre jolie tenue a un peu détourné l'attention, et ça a évité que je ne meure d'ennui. » Comme deux enfants qui se cherchent. Il l'aiguillonne, tente de faire naître chez elle ce caractère incendiaire qui l'attire comme une flamme un papillon. Le contact, lui-même, est une séduction. Il la sent se tendre et se redresse. Il ne voulait pas la gêner. Priam ne sait pas exactement ce qu'il voulait. Jouer, peut-être, ou séduire. Pétra est jolie. Pétra est vivante. Pétra a un caractère qui lui plaît. Pourrait-on en venir aux conclusions que Pétra lui plaît ? Il ne veut pas dire ça. Il ne veut pas penser ça. Il chasse cette pensée d'un geste de la main. « Un challenge ?» Il a du mal à comprendre, cette fois. « Si elle me croit au-delà de ses charmes, cela la vexerait dans son égo, et elle chercherait à faire de moi ce que je ne serai, supposément, pas ?» Réflexion vaine. Petit soupir. « Comme les gens sont étranges. » Il glisse un coup d'oeil. Les iris noirs qui avalent la silhouette, et le visage au regard toujours fuyant. « Même si ce que je dis est vrai ? » Sourire. Amusement d'enfant, aux paroles sérieuses d'adulte. « Techniquement, ce n'est pas vrai. Ce qui m'attire, c'est le vivant et l'esprit, non la forme ou les appâts d'un corps.» Pansexualité assouvie et assumée. Et, peut-être, l'idée qu'elle comprenne qu'il n'aime pas que les hommes. Il ne sait pas pourquoi il rajoute les mots qui s'échappent de sa gorge, pris d'une vie propre. « Mais cela fait environ quatre ou cinq décennies que je suis seul. » Il se mordille la lèvre. Il s'en sort très mal. Maladroite gargouille de pierre. « Je suppose que l'autre doit avoir du succès » qu'il essaye de dire, pour changer de sujet, pour rebondir sur ce qu'elle dit, elle. « Vous en avez ? Du succès, je veux dire. » Par les dieux, Priam, tais-toi ! Il rougit, d'un air idiot et timide, presque craintif. Il n'a jamais fait le premier pas vers quiconque. Il ne sait pas exactement si il fait le premier pas, là. Qu'est-ce je fiche, bon dieu ? « Qu'est-ce je devrais lui dire, alors, pour la désespérer et lui faire lâcher l'affaire ? Je ne suis pas intéressé. Par elle. » qu'il souffle les derniers mots. Comme pour dire que, peut-être, quelqu'un d'autre l'intéressait. Il s'embourbait dans des paroles gênantes. « Hem, je. Je peux vous offrir un autre verre ? » Il désigne du doigt le verre vide dans ses mains. Il voudrait se cacher sous terre. Contrition enfantine. « Au fait je ... Je ne connais même pas votre nom de famille. » Après tout, elle a assisté aux présentations. Elle sait son identité. La toute première, qu'il n'a jamais lâché. C'est un avantage, non, après tout ? Un échange bizarre. Un jeu qui les fait avancer et reculer. Il ne sait pas qui gagne - ou si l'un d'eux finira par vaincre.

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Petrouchka Wagner
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 1 Nov - 15:39







S'il y a une chose qu'elle ne supporterait pas si elle en venait à devenir éternelle, ce serait certainement d'observer ce temps qui file et qui court après ceux qui ne possèdent pas l'infini pour exister. Ceux qui meurent et tombent finalement dans l'oubli, ou qui restent en mémoire et qui ne font que créer un vide d'autant plus grand. On aura beau s'attacher encore et encore, après les décennies et siècles qui courent, la finalité sera toujours la même la plupart du temps. Une solitude créée par ceux qui ont péri, ceux qui n'ont pas la chance (ou malchance) de pouvoir fouler les terres sinueuses sans pouvoir y mettre fin, sans pouvoir mettre un terme au cycle qui se répète et qui est contre nature. Tout ce qui vit un jour doit finir par cesser d'exister. Et pourtant, il y en avait qui piétinaient encore les sols qu'ils avaient déjà visités, et ce, après plus de mille ans d'errance. Puis il y en avait d'autres, ceux qui finissaient par mourir mais qui dans leur misérable vie, ont dû subsister grâce aux vivants qui sombrent, grâce à l'âme volée pour se nourrir, à l'âme qui ne rejoindra ni le paradis, ni l'enfer, mais à un corps qui ne possède plus réellement d'essence. Elle a eu huit ans pour s'habituer, Petra, et encore aujourd'hui, quand elle doit se nourrir, elle se demande pourquoi. Pourquoi elle continue à frôler les visages mourants de ceux qui tirent leur révérence, pourquoi elle continue de côtoyer les allées parisiennes à goûter les sentiments d'autrui. « C'est vrai que vous, vous ne vieillissez plus. » Elle avait presque oublié ce détail, pour ne pas dire qu'elle l'avait totalement négligé. Elle ne sait pas ce que ça fait de devoir vivre indéfiniment, mais elle a son image bien construite. L'ennui, certainement. La paresse de vivre encore et encore, sans jamais s'éteindre une bonne fois pour toute. « Vous avez qu'à leur dire ce que vous êtes, comme ça vous pouvez les revoir. » Naïve. C'est comme si on lui disait de dévoiler à son plus grand-frère qu'elle est une faucheuse. Il la regarderait. Non, la toiserait, de haut en bas, les yeux plissés et l'intonation amère. Mais peut-être que certains comprendraient. Et ne seraient pas effrayés par ce qu'ils sont.

Les yeux sont le miroir de l'âme. Du moins, c'est ce qu'on dit, et Petra, elle y croit. On arrive à y lire la violence, dans les iris, la douceur ou d'autres sentiments qu'elle peine encore à comprendre. On voit les regards colériques, les menaçants, les compatissants. On perçoit aussi bien le mal que le bien. La part de noirceur et de clarté. « Exactement. » qu'elle se contente d'énoncer alors que ses yeux viennent se poser dans les siens. Elle inspire, serre instinctivement la mâchoire quand son regard s'accroche au sien. « Si je vous regardais dans les yeux continuellement, je pourrais lire en vous. Et ça, ça me dérange pas, au contraire. » L'ombre d'un sourire qui s'esquisse, elle déglutit, se mord l'intérieur de la lèvre. « Mais ça veut aussi dire que vous pourriez en faire de même, avec moi. » Ce n'est pas que ça lui déplaît, mais elle préfère ne pas savoir ce que les autres voient en elle, elle préfère ne pas être mise au courant de ce qu'ils perçoivent, préfère se voiler la face avec ce qu'elle pense être plutôt qu'on lui dise ses quatre vérités qu'elle a toujours redouté. Elle n'a pas envie qu'on commence à la psychanalyser parce qu'elle appréhende ce qui peut être dit. Elle hausse les épaules, ne comprend toujours pas. Ou peut-être qu'elle ne veut pas comprendre parce qu'elle est parfois trop bornée pour voir au-dessus de ses opinions. « Mais si vous vous voilez la face pour ne pas m'avouer à quoi vous tenez le plus, et que vous vivez dans le mensonge, vous ratez forcément quelque chose. Quelque chose d'important en plus. » Le regard de Petra n'a toujours pas dévié, toujours fixe, comme si elle se forçait à ne pas le détourner ni même à cligner des yeux. « Vous allez pas le regretter, de ne pas vous admettre qu'il y a quelque chose qui compte plus que votre moto ? » Si elle savait ce qui était le plus important pour elle, elle en profiterait certainement. Ferait en sorte de le montrer aux autres, peut-être même le partager.

Elle ne peut s'empêcher de lâcher un maigre rire. Jolie tenue. Elle-même, elle sent la presque ironie. Elle-même, elle ne peut pas dire que sa propre tenue est belle et qu'elle est contente de la porter, de devoir marcher avec les quelques morceaux de tissus qui s'éparpillent de façon espacée sur les parcelles de peau. Encore un peu et elle sentait les légers courant d'air venir chatouiller le bas de son ventre, son dos et les épaules, sans même parler des jambes découvertes. « C'est ironique, ce que vous dîtes, n'est-ce pas ? » Elle marque une pause, lâche un soupir en secouant légèrement la tête de gauche à droite. « Même moi, je ne vois pas en quoi ça pourrait être un minimum joli. » Elle l'a toujours admis, n'a jamais cherché à apprécier ce qu'elle porte presque chaque soir. Elle les voit les autres, certaines qui sont heureuses de se montrer, de ne porter que de fins habits qui donnent à Petra l'impression de ne rien avoir sur le dos. Elle ne s'attend pas au contact de peau à peau, c'est léger, ça frôle, mais elle ne l'a pas prédis, alors tendre ses membres est quelque chose d'inévitable quand bien même elle essaie de le dissimuler. C'est doux, agréable, et elle, elle ne connaît que bien trop souvent les gestes violents, les bagarres avec les frères qui finissent en pleurs avant de se rabibocher. Elle a baissé les yeux, ne sait plus vraiment où les poser, alors ils arpentent la pièce discrètement. Elle l'écoute, attentivement même si on peut facilement croire qu'elle semble ailleurs. Elle s'est certainement en partie, toujours les méninges en activité, qui réfléchissent sur tels ou tels sujets, des questions existentielles et bien trop complexes, qui ne font que lui donner des semblants de maux de tête. Comme les gens sont étranges. Elle sourit, joue avec son propre verre qu'elle fait tourner sur lui-même, observant le fond, le millimètre restant du breuvage qui réchauffe le corps et le cœur, tous les deux froids. « Ah. Donc vous, vous vous en fichez du physique. Du genre. Tant que l'âme est belle. » Elle hausse les épaules. Certainement une raison de plus pour ne pas croiser son regard. La colère intérieure qu'elle dissimule depuis des années, la lassitude, le pessimisme qui écrase peu à peu celle qui essaie de voir le bon côté des choses. « Cinq cents ans de solitude ? » qu'elle dit, presque surprise. Ça semble irréel, comme une hyperbole qu'elle lancerait pour dire que ça fait des lustres qu'elle n'a pas été avec quelqu'un. Jamais ? « J'ai jamais eu quelqu'un. » C'est dit naturellement. Pas l'ombre d'une gêne. Juste de l'honnêteté qu'elle articule, comme si c'était normal pour elle d'aborder ce genre de conversations. « J'ai jamais vraiment cherché à avoir quelqu'un. » Alors quand elle voit les autres, avec différentes personnes à leurs bras, elle a du mal à saisir. « Ça viendra quand ça viendra, je suppose. » Elle ne sait pas de quoi elle parle. N'a jamais expérimenté l'amour, si ce n'est fraternel. Et ça s'entend, dans sa façon de répondre, que ce n'est sûrement pas un domaine où elle excelle. Un domaine qu'elle n'a jamais côtoyé. Ou peut-être que si, mais trop aveugle pour saisir ce qu'il lui arrivait. Du succès. « Un peu. Je crois ? Je sais pas. Certainement moins qu'elle. Ou que vous. » Léger rire. Le millimètre d'alcool est avalé rapidement. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle en a bien besoin. C'est peut-être grâce à la boisson qu'elle se permet de parler presque plus ouvertement. Presque, seulement. « Peu importe ce que vous allez lui dire, elle continuera jusqu'à trouver quelqu'un d'autre sur qui mettre le grappin. » Elle ne sait pas vraiment comment l'arrêter, l'autre. N'a jamais cherché à lui mettre des bâtons dans les roues. « Pourtant, elle est belle, je comprends pas pourquoi vous allez pas la voir. » Elle ne comprend pas parce qu'elle conçoit mal les différences entre attirance, sentiments, et tout ce qui touche au sujet qu'est l'amour. Il faudrait lui expliquer de A à Z, revoir les bases. « Enfin tant mieux. Si vous ne voulez pas aller la voir. Tant mieux pour... moi. » C'est égoïste et maladroit, elle aurait bien aimé ravaler cette tirade ou l'effacer des mémoires. « Ça me fait de la compagnie. » Elle secoue la tête, ça fait encore plus égocentrique. « Enfin, vous faîtes comme vous voulez. » Pointe de déception dans la voix. Elle le regarde désigner le verre vide, réfléchit à ce qu'elle doit répondre. Ce serait impoli, de décliner l'offre, alors elle hoche la tête, sourire candide et yeux qui viennent s'accrocher au sien. « Je veux bien, merci. » Elle se fige de l'intérieur, se souvient du goût de la boisson et prépare ses papilles à affronter l'infâme breuvage. Son nom de famille. Effectivement, elle n'a donné qu'un prénom. Elle connaît plus de détails sur lui qu'il n'en connaît sur elle. « Si vous connaissez... » Elle réfléchit, cherche la plus connue. « Si vous connaissez La Chevauchée des Walkyries alors vous pouvez deviner mon nom de famille. » Ça doit pas être bien difficile, pour celui qui a vécu pendant des siècles.



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Priam O. Androdomyus
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 1 Nov - 16:53

dance macabre


Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?


Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?


C'est vrai que vous, vous ne vieillissez plus. Il n'y a rien de plus vrai et de plus dénudé que ces paroles. Beaucoup verraient là de la chance : Priam avait un visage avenant, un corps solide et une haute stature, ainsi qu'une jeunesse éternelle, aucune ride ni vieillissement physique. Combien ne vendraient pas leur âme, au diable ou à d'autres ombres, afin de connaître pareille félicité ? Mais ce n'était pas aussi savoureux au bout de plusieurs siècles. Il eut un pauvre sourire pour ponctuer les dires de Pétra. « Ceux que je protègent ne sont pas censé être catapultés dans notre monde.» Il réfléchit quelques secondes puis son sourire se fait plus sincère, moins amer. « Je me suis rarement lié d'amitié avec d'autres créatures. Mais ... C'est chose faite, à présent. Vous savez ce que je suis. Je sais ce que vous êtes. Et nous sommes là , à boire un verre. Peut-être que je devrais acheter un portable, finalement.» La technologie n'est peut-être pas si mauvaise que cela. Et puis, vivre dans le passé n'est pas une réponse satisfaisante. Même les gargouilles dans son genre doivent apprendre à vivre dans le présent. Priam note de demander à Ambroise. Peut-être que l'influence de la technologie le poussera à entretenir ses relations. Même si il doute d'être capable d'utiliser convenablement les ordinateurs ou ces objets du démon avec leurs pavés tactiles trop petits pour ses gros doigts.

Les yeux se chevauchent, comme pour se défier. Un frisson parcourt la peau ancestrale. Peut-être qu'elle craint ce qu'il pourrait y lire. Mais ce qu'il voit dans les prunelles de la demoiselle, c'est la beauté même intrinsèque à l'homme. Quelque chose de profondément humain et qui le trouble plus fort encore.  « Vous n'avez pas à craindre ce que je pourrais lire dans vos yeux. J'y verrais sûrement plus d'humanité que ne sont capables de refléter mes propres prunelles.» Les compliments gauches et maladroits. Les iris noirs qui s'ornent du trouble grandissant. Pourquoi est-ce qu'elle est capable de faire naître tout ça, au juste ?  « Je l'admets. Je refuse juste cette idée.  » Priam a un sourire amusé, enfantin.  « Qu'est-ce qui vous paraît important, à vous ? La famille peut-être ? » La question à la réciproque. Non pas qu'il désire se venger. Kidnapping de parents, jamais. Il n'avait pas besoin d'une mère ou d'un père, ou de vengeance, d'ailleurs. Il ne savait pas ce dont il avait besoin. Rien, sûrement. Nourriture, eau, air. Tout cela était inopérant sur un corps de pierre. Même la foi n'était pas implacable. Mais Priam désirait avoir besoin de quelque chose. D'Ambroise, parfois. De se battre, de cruauté, souvent, envers ceux qu'il finissait par dévorer, annihilant la souillure. « Si vous êtes sage, peut-être que je vous dirai ce qui dépasse en importance ma moto. » Crânerie d'enfant. Provocation gamine et divertissante.

Il partage son rire. Il aime bien ça, la voir sourire. C'est ce qu'il préfère, chez les humains, ou même les créatures : la possibilité de ressentir la joie, à l'exprimer. « Peut-être que ce n'est pas la tenue qui est jolie. » Haussement de sourcils. Air amusé, joueur, charmeur peut-être. « Même si il faut avoue que les paillettes ne vous mettent pas exactement en valeur. Le cuir d'un blouson vous va mieux. » Plaisanterie aux lèvres. Et le ravissement au bout des doigts, à sentir le contact de ses cheveux, le toucher délicat de son oreille. Une seconde, un clignement de paupière, un battement de coeur, un coeur de pierre qui forme un séisme dans son architecture squelettique de grès. Il hoche finalement la tête, puis hausse les épaules. « Disons que, au-delà d'un physique qui pourrait me plaire, mes préférences vont aux gens aux esprits gracieux. Les curieux, les créatifs, les joueurs. Le physique joue, un peu, mais j'ai vu tant et tant de corps différents, de visages différents, que la beauté reste très abstraite pour moi. » Blonde, brune, rousse, aux peaux colorées, rougies par le froid ou noircie par le soleil, aux tailles et aux formes diverses. La beauté est toujours dans l'oeil de celui qui regarde, après tout. « Il y a cinq cent ans, j'ai fait le serment de ne plus me marier. Perdre ceux que j'épouse fait trop mal. Je suis donc veuf depuis cinq cent ans, oui. » Il y a eu quelques femmes, quelques hommes. « Rien de sérieux depuis longtemps. Aucun amour depuis la dernière guerre. Cinquante, soixante ans peut-être. » Pourquoi il raconte ça ? Pétra l'écoute. Elle ne sait pas, ne le connaît pas, et ça lui donne envie de se dévoiler. Il craint de lui faire peur, ou de la braquer. Confessions uniques, échange cristallin. Les yeux de Priam papillonnent jusqu'au visage féminin de Pétrouchka. J'ai jamais eu quelqu'un. Il se sent soudain idiot, avec ses questions et ses histoires millénaires. Si il est gêné, c'est d'avoir étalé sa vie privée devant quelqu'un qui ne sait peut-être pas ce que c'est que la passion de deux corps. Il rougit presque et se mordille la lèvre. « Ça finit toujours par naître, chez quiconque. Vous avez le temps, je pense.» Moins que moi, sussurre une voix cruelle, elle pourrait mourir, elle, si elle ne se nourrissait plus. Mourir vieille fille ! Une voix cruelle, de pierre, venue du fond des âges. Désagréable lutin cornu, que Priam fait taire d'une torsion mentale. Il ne la dénigre ni ne la juge. « Que moi ? » Sincère interrogation. « Je n'ai pas de succès. » Ou peut-être que si. Il n'en sait rien, ne s'y intéresse pas. Comme il se désintéresse de l'autre. Le nom oublié, et l'âme dispersée. « Parce qu'elle ne m'intéresse pas. » Il aurait pu dire, parce qu'elle ne me plaît pas. Mais il a retenu ces mots quelque peu cruels. Tant mieux pour... moi. Coup d'oeil vif, rapide. Le regard d'un fauve, incrédule. Un peu écarquillés, les yeux surpris. Il déglutit et détourne le visage. A son tour d'avoir peur de ce qu'on pourra lire dans ses traits. « Je suis bien, là où je suis. » Avec vous. Les mots viennent jusqu'à ses oreilles, et alors résonne la musique dont le nom est établi. La chevauchée des Walkyries. Il ferme les yeux. Il connaît les grands auteurs de musique classique car il s'est donné un point d'honneur à les rencontrer. Beethoven, Tchaïkovsky, Mozart. « Wagner » qu'il chuchote avec une grande tendresse impossible à ignorer. « Vous portez le nom d'un homme incroyable, Pétrouchka. » Il rouvre les yeux, tourné vers le piano plus loin où ses doigts ont étrenné la musique. « Êtes-vous Allemande ? Seriez-vous de sa famille ? » Priam ose enfin retrouver le visage de Pétra. Quelques secondes de flottement. « Je l'ai connu. » Bien sûr. Il dit ça, comme si il avait connu les plus grands. Il a un petit sourire enfantin, non plus confiant mais timide. « Nous avons parfois joué ensemble. C'est Ludwig Beethoven qui m'a appris le piano, mais Richard était ... intense dans son travail. Il n'a jamais compris comment je pouvais reformer les moindres notes sans cette humanité délicate et cette passion cristalline qui font le charme des harmonies. » Priam soupire et réalise qu'il parle, encore, beaucoup trop, comme toujours. « Désolé, je monopolise la conversation. Un de mes travers » qu'il grimace. Deux nouveaux verres, servis. Mais il n'a pas soif. N'a plus guère envie de profiter de la musique, des corps présents, de ses clients. Nostalgie du passé. Mélancolie d'un piano, dont il rêve d'extirper les notes comme autrefois.


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Petrouchka Wagner
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 1 Nov - 22:02







Il a raison. Dire à ceux qui ne savent pas, raconter ces histoires qui pour eux n'ont été que fabulations durant une grande partie de leur existence, leur dire que certains créatures qu'ils pensaient fantastiques existent bel et bien, c'est comme ébranler tout un monde, toute une base sur laquelle ils se sont construits. C'est comme détruire le pilier même qui les maintient en vie, remettre en question ce qui est naturel, ce qui ne l'est pas, de revoir les définitions de ce qui est humain ou non. Dire de but en blanc, prouver à ceux qui préféreraient peut-être rester dans une ignorance naïve, leur énoncer qu'il y a des choses qui vivent et qui dépassent l'entendement, leur montrer pour qu'ils voient de leurs propres yeux que les vivants sont mêlés à d'autres espèces qu'ils ne considéraient que fictives, c'est bousculer tout un quotidien, commencer à douter de ce que l'on a appris et peut-être même se méfier de ceux qui nous entourent. Elle y songe, se demande comment elle pourrait l'annoncer à ses proches et elle doit admettre qu'elle sait, intérieurement, qu'elle ne pourra jamais leur dévoiler ce qu'il s'est passé il y a de cela près de huit ans. Elle a simplement gardé ces faits pour elle, n'a pas changé ses habitudes, s'est débrouillée d'elle-même en ne voulant pas encombrer les autres de problèmes et tracas qu'ils ne pourraient pas résoudre. Dont personne ne pouvait trouver la solution, car il n'y en avait aucune. Il fallait simplement vivre, accepter et ne pas baisser les bras quand bien même la crainte ronge. La crainte d'être découverte, qu'on sache ce qu'elle est, la peur de mal faire. Mais le pire, quand on s'en sortait seul sans l'aide de ceux que l'on apprécie un minimum, c'est la remise en question. Se demander si on ne ferait simplement pas mieux de disparaître, car ce n'est pas humain, de vivre ainsi. « Vous verrez, ça va changer votre vie.  » Le téléphone portable, quelque chose qu'elle apprécie mais qu'elle aimerait parfois jeter par la fenêtre de sa chambre, pour l'entendre s'écraser contre le bitume. Néanmoins, résignation à chaque fois que l'idée lui traverse l'esprit. D'un, c'est pas forcément donné. De deux, on doit admettre que l'utilité dans l'objet est quand même grande. Être connecté, partout dans le monde, savoir ce qu'il se passe aussi bien ici et que là-bas, ailleurs. « Vous allez avoir un peu de mal au début, mais je pourrais vous montrer comment ça marche. » Elle marque une pause, léger sourire qui fend son visage. « Si vous voulez. » qu'elle ajoute, pour ne pas donner l'impression de vouloir empiéter dans sa vie.

Plus d'humanité que ne sont capables de refléter mes propres prunelles. Elle hausse les épaules. Ce n'est peut-être pas si faux. Elle ne sait pas, ce que lui a bien pu faire en tant d'années, de siècles d'existence à ancrer ses pas dans les divers espaces qu'il a dû traverser. Elle ne sait pas, comment il a pu vivre ou les atrocités qu'il aurait pu commettre, les époques vécues n'étant pas toujours des plus tendres ou des plus banales à supporter. Les guerres, les champs de bataille, les catastrophes naturelles, des scénarios horribles qui laissent des blessures qui ne se dissiperont jamais. « Si vous saviez... » Elle n'en dit pas plus, laisse planer la phrase sur une finalité qui n'en est pas une. Quand on ne trouve pas de quoi se nourrir, quand au début on ne sait pas où on peut trouver d'âmes pour se rassasier, on peut être capable de quelques mauvaises choses que l'on ne peut pas oublier si facilement. « La famille restera toujours importante pour moi. » Elle réfléchit, se demande s'il n'y a pas encore plus important à ses yeux. « Je ne sais pas si c'est la chose la plus importante, mais c'est certainement pas loin. » Elle hausse les épaules, ne sait pas vraiment ce qui est important dans sa vie. Elle a cette fâcheuse habitude d'accepter ce qui vient, de ne pas rejeter, de prendre sans grand intérêt. Elle vit comme si elle était parfois blasée de l'existence dans laquelle elle est coincée. Ça fait déjà depuis quelques années qu'elle ne sait plus ce qu'elle veut faire d'elle-même. « Je veux dire, je les... Aime ? Les perdre me feraient sûrement quelque chose, donc ça prouve qu'ils sont importants. » Elle lâche un rire nerveux. N'a jamais vraiment pensé au fait qu'elle pourrait les voir disparaître. « Alors que ma moto, bon, si je la perds ou si elle tombe en miettes, c'est pas si grave. Je crois. » Mais quand même, elle ne souhaite pas voir sa bécane en mille morceaux. « Même si je suis sage, j'ai pas la certitude d'avoir la réponse ? » Elle prendrait presque une mine outrée qui souligne l'injustice, croise les bras en fronçant les sourcils mais laisse apparaître l'ombre d'un sourire.

Elle en viendrait à rougir et c'est certainement ce que ses pommettes sont en train de faire. Mais elle essaie, de dissimuler bien que ce ne soit pas chose aisée. Elle ne sait pas, ne comprend pas si la phrase peut être détournée et signifier qu'elle pourrait être jolie. Elle préfère baisser la tête, s'humecter les lèvres le temps que les joues reviennent à leur couleur initiale. Elle finit par relever le menton et ne peut qu'approuver les dires. « Si seulement on acceptait que je vienne avec du cuir sur scène. » S'arrête. « Avec un blouson en cuir, hein. Pas une combinaison... quelconque. » Qu'on ne commence pas à s'imaginer d'autres choses. Elle se remémore, se souvient que dans les coulisses, il y a sûrement des vêtements en cuir qui traînent, des pantalons qui serrent les jambes et la matière qui se colle sur tout le corps. Sensation presque désagréable de ne faire qu'un avec la matière. Elle écoute, tend l'oreille. Préférences. Les siennes, elle ne les connaît même pas. Plus il s'explique, plus elle a l'impression de ne rien vraiment savoir sur ce qu'elle, elle aime. On pourrait lui retourner la question qu'elle se contenterait de baisser la tête, réfléchissant à une réplique qui pourrait lui sauver la mise, une réplique qui ne montrerait pas son inexpérience et sa naïveté. « Les perdre, ça fait mal, mais passer du temps avec... c'est source de bonheur non ? » Elle réfléchit peut-être trop. « Vous préférez être continuellement seul et ne pas avoir à souffrir quand l'autre... disparaît ? Plutôt que d'être vraiment heureux pendant des années et... souffrir quelques temps ? » Elle même ne sait pas ce qu'elle répondrait si on lui posait cette question. L'un, l'autre. Qu'est-ce qui apporte plus de mal, plus de bien ? Elle n'en sait rien. Ne le saura jamais, parce que sa vie à elle, elle est courte. Elle est courte, et peut-être n'aura-t-elle jamais l'occasion de connaître l'amour. C'est peut-être pas une grande perte, qu'elle se dit, quand elle voit certains couples actuels qui se brisent l'un l'autre. Mais il y a toujours la curiosité. Elle hausse les épaules en réponse. Peut-être qu'elle n'est juste pas faite pour ça.

« Vous ? Pas de succès ? » Elle le toise inconsciemment, ferme les yeux en secouant la tête, les rouvre. « Si vous saviez le nombre de regards qui se sont posés sur vous depuis que vous êtes ici. » Elle, elle le sait. Elle a vu les autres, qui regardaient, qui passaient, qui observaient, jetaient un coup d’œil discret. Elle les a vu, comme elle voit la plupart des choses, l'observatrice qu'elle est. « Pourtant, elle intéresse tout le monde. » qu'elle dit, observant les gens qui occupaient la salle, d'une œillade rapide vers les silhouettes qu'elle avait déjà aperçu avant de reporter son attention à la discussion. Je suis bien, là où je suis. Sourire enfantin, candide qui s'esquisse, comme une joie qu'elle ne peut pas cacher. Elle n'est donc pas une épine dans le pied pour tout le monde et c'est quelque chose de rassurant, pour Petra. Wagner. Allemande. Elle hoche la tête. « Origines allemandes. Puis autrichiennes. Et je suis née à Vienne. On m'a toujours dit que j'étais de sa famille et je pense pas qu'on m'ait menti sur ça. » Lippes qui étirent un sourire crédule. Elle l'envie presque, Priam, d'avoir pu côtoyer autant de choses et de personnes qui sont désormais admirées pour leur personnalité ou leurs œuvres. Elle observe les deux verres qui sont désormais remplis, tend son bras pour prendre le sien et le rapprocher. « Je vous l'ai déjà dit, mais je vous envie, pour certaines choses. » Elle boit une gorgée, la grimace dissimulée, déglutit difficilement comme lorsque l'on avale un médicament au goût infecte. « Vous avez appris des plus grands. » Elle soupire, non pas par jalousie (bien qu'elle le soit), mais par nostalgie. Elle ravale une goutte qui passe plus facilement, comme si elle s'habituait à la saveur qui titille le palais. « Vous devez être doué, au piano, si mon ancêtre vous portait un certain intérêt. » Sourire. Admiration qu'elle laisse paraître dans ses iris verdâtres qu'elle pose dans le regard sombre, alors qu'elle tend étale ses avant-bras sur la table, les paumes retournées et à découvert. « J'ai voulu devenir pianiste quand j'étais plus petite. » Trop petite. Elle se souvient des heures passées à persévérer, pour rien au final. « J'aimais vraiment bien, je voulais en faire mon métier. » Qu'elle dit en rigolant, se moquant d'elle-même, comme si cette idée n'avait été que stupide. « Puis un jour, on m'a... Je me suis cassée les doigts. » Dit comme ça, ça semble étrange. « Me demandez pas comment, c'est long à expliquer. » Parce qu'il faudrait évoquer la rivalité sœur/sœur, et il faudrait des heures pour poser les bases. « Et quand j'ai voulu rejouer... ça sonnait pas pareil. Les mélodies étaient plus comme avant. » Elle se souvient, soupire à l'image d'elle qui essayait vainement de jouer correctement. Elle n'arrivait plus à faire certaines choses qu'elle pouvait pourtant réaliser avant d'avoir les mains cassés. Puis elle a voulu devenir danseuse étoile, et ça ne s'est pas bien terminée non plus.


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Priam O. Androdomyus
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MessageSujet: Re: dance macabre   dance macabre EmptyDim 15 Nov - 12:50

dance macabre


Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d'un néant follement attifé.

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?


Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?



Priam n'a jamais connu de parents. Sa seule famille s'est bornée à Ambroise. Il n'a jamais eu de père ou de mère, de frère ou de soeur, que le sang liait au sien. Les personnes qu'il aimait, il était relié à elles par ses émotions, non par un lien unique et familial. C'était comme si une couche de pierre calcaire l'empêchait, le laissait seul. Il envie certains qui enfantent. Ceux qui ont des enfants, de pierre et de chair. Ceux qui ont une véritable famille. Mais il  Ambroise, Priam, et il se sent heureux à cette pensée. L'éternité seul, il n'aurait pas supporté. Au moins, il a quelqu'un sur qui compter. A qui parler, lors de ses longues nuits d'insomnie, quand les étoiles se font trop vives et trop lumineuses pour laisser le sommeil s'amener sur ses paupières. « On verra » qu'il fait d'un air un peu bougon, comme si il acceptait quelque chose à contrecoeur, le corps arque-bouté. Il n'aimait pas la technologie. Il ne la haïssait pas, pas de cette violence qu'ont certains. Mais il ne comprenait pas ce besoin technologique, et il craignait que cela ne le change, comme cela avait changé les autres humains. Mais il avait envie d'essayer. Juste pour voir si cela changerait réellement sa vie. Juste pour voir le regard surpris de Pétra, si il arrivait à maîtriser ce téléphone rapidement. Un défi. Un challenge. Elle propose de l'aider. Il devrait refuser. Il accepte. « D'accord. » Parce qu'il ne résiste pas à l'idée de la revoir. C'est encore une espèce de promesse, non ? Il ne sait pas ce qu'il adviendra d'eux. Et, pour une fois, il aime ce flou incertain.

Si vous saviez ... La curiosité comme un feu de joie. Si je savais quoi ? Il n'ose pas demander. Il a presque peur de la brusquer. D'entrer dans son passé, et qu'elle en souffre. Il ne veut pas ça. Sa curiosité a un prix peut-être trop élevé pour elle. Alors il se contente de hausser les sourcils sans rien dire, un sourire fragile sur les lèvres. Il l'écoute, le regard qui va et vient entre elle et un ailleurs. Il penche la tête, repousse ses cheveux en arrière d'un geste qui semble avoir pris des siècles pour paraître aussi nonchalant. Il aimerait bien impressionner Pétra. C'est gravé quelque part, entre les côtes et le sternum. Dans les os de pierre. Il veut voir l'admiration dans ses yeux, et il avait cru voir cette lueur quand il parlait du passé, et des êtres qu'il a connu. Elle semble sincèrement s'intéresser à lui, au-delà de ses millénaires de vieillesse. « Je comprend. J'ai quelqu'un que je considère comme un frère. Peut-être qu'il compte plus que ma moto, en fin de compte. » Il y réfléchit. Il a du mal à cerner sa propre échelle de valeurs. Mais, au-delà de ses biens matériels, c'est ce qu'il peut ressentir qui est important. Alors il a un petit sourire amusé à la répartie presque outrée de Pétrouchka. « Si vous êtes sage, vous aurez un indice. Je le promet. » C'est plus drôle de jouer, non ? Il n'est pas sûr que cette information, elle la veuille tant que ça. Ce n'est pas juste parce qu'il refuse de la lui donner, qu'elle la désire ? Les humains sont comme ça, à désirer ce qu'on leur secoue sous le nez.

Il cligne stupidement des yeux et détourne le regard. Il n'avait pas du tout imaginé quoi que ce soit, avant qu'elle ne fasse remarquer ce qu'il devait penser. Mais, si elle songe à ce qu'il ne devrait pas imaginer, elle est à des lieues de la réalité. Car ce n'est pas en combinaison de cuir qu'il l'imagine, mais vêtue d'une chemise de lin, d'un corset de cuir, comme lors de ces siècles anciens. Priam a toujours adoré les corsets. Cela forme une taille féminine et désirable. Mais il n'est pas certain que partager ses pensées soit la chose la plus utile à faire. « Avec votre style de motarde, ça pourrait donner un show unique » qu'il glisse, sans aucune ironie. Beaucoup d'hommes fantasment sur ces femmes fortes et dominantes, non ? Enfin, non pas qu'il songe à Pétra comme une dominante, mais ... Il secoue la tête, totalement perdu dans le fil de ses pensées. Il regrette de ne pouvoir fumer dans le cabaret. Il tapote la table, quand les paroles fusent. La gargouille observe la brune, comme si il pensait qu'elle allait éclater de rire. « Je ... Vous devez vous imaginer des choses. Ou c'est peut-être le côté mystérieux, j'en sais rien » murmure t-il, en rougissant presque. Est-ce qu'elle, elle le regarde dans ce goût-là ? Il suit le regard de Pétra et jette un coup d'oeil dans la salle, puis hausse les épaules. « Pas moi. Je ne suis pas comme tout le monde » s'amuse t-il, avec un sourire complice. Ils sont, après tout, en dehors de cette foule, si l'on peut dire. Le regard s'allume d'intérêt passionné. Il cherche soudain les traits de Wagner dans ceux de la demoiselle. Peut-être ... « Si tel est le cas, je suis ravi de parler à une de ses descendantes. » Il y a une grande tendresse dans ses mots ; projetée sur Pétra, ou venue du fond de ses souvenirs ? Il ne sait pas. « Si vous parlez de ma mémoire et de ce que j'ai vécu, je serai heureux de partager cela avec vous. » Ça ne sera jamais comme les vivre avec lui, mais c'est tout ce qu'il peut lui offrir. C'est déjà beaucoup. C'est un bout de lui, de sa vie, de ses sentiments et de ses souvenirs. Des morceaux d'un ancien temps. « Je suis capable de répéter n'importe quelle musique, mais il manque l'humanité. J'avais toujours aimé le piano, et votre ancêtre m'a guidé. C'était un homme bon et patient. » Aux paroles de Pétra, il ressent un coup à l'intérieur. Elle suivrait donc les voies de son héritage du sang. Il veut jouer avec elle. C'est aussi soudain et brûlant qu'un désir d'enfant. Il veut, comme il a rarement voulu quelque chose. Il écoute, et ses narines s'évasent sous une colère : il a clairement entendu que, si les doigts ont été brisés, ce n'est peut-être pas la faute de Pétra. Mais il respecte son jugement et ne demande pas. Il hésite, garde ses questions pour plus tard, et prend délicatement une main féminine entre ses doigts. Ce n'est pas un contact intrusif. Comme une caresse d'un coup de vent. À peine le temps de ressentir le contact tiède de ses doigts qui caressent ceux de la demoiselle, comme à la recherche des os brisés, ressoudés avec le temps. Il n'y a pas de torsion étrange, mais il sait quoi chercher. Il devine les gestes malhabiles, qui ont perdu de leur fluidité. Il relâche les mains, peut-être quelques secondes après ce qui aurait dû être. « Vous avez perdu de votre habileté. Certains de vos doigts devaient avoir du mal à s'écarter assez pour jouer sur certaines touches. Mais cela ne veut pas dire que vous ne pouvez plus jouer. » Il respecte la passion musicale. Une chose qu'il ne pourra jamais que regarder de loin. Il lève ses yeux sombres des doigts de la demoiselle, et les redresse jusqu'à rencontrer le visage, cherche les autres prunelles. « Accepteriez-vous de jouer avec moi ? Je possède un piano à queue. Votre ancêtre a joué dessus. Ce serait ... Comment dire ? Comme vous lier avec vos racines ? Ne dites pas non » qu'il supplie. Le désir au ventre. « J'ai toujours aimé jouer à quatre mains » qu'il dit, comme si c'était un argument de poids. « Imaginez cette scène : un être incapable de mettre la passion humain qui anime les musiques dans ses mélodies, les rendant d'une beauté effrayante et creuse, et une demoiselle à l'amour du piano, qui rendra tout cela bien plus gracile de par son humanité, peu importe les notes qu'elle pourra ou ne pourra pas jouer. » C'est presque une prière. Il la regarde avec des yeux avides. Pas de son corps, pas pour la dominer. Juste comme un pianiste à une autre.

Les trois arrivent avant qu'elle ne puisse répondre, ou peut-être qu'il n'a pas entendu, trop concentré sur son observation de son visage, sur le souvenir de ses doigts sur les siens. Il se recule et toussote avant de reprendre une discussion, qui pourtant se finit vite. Après tout, ils ont acceptés, et après une petite dizaine de minutes, ils s'en vont pour de bon, laissant les deux créatures seules à la table. « Parfois, j'ai du mal à dormir et je vais au Louvres, la nuit, même quand ce n'est pas à moi d'y travailler. Est-ce que vous voudriez, si l'insomnie est une de vos tares, voir les toiles sous un autre jour ? Ou plutôt  une autre nuit » glousse t-il ridiculement. C'est absurde - il tente tant bien que mal de créer de nouvelles rencontres, pour ne pas avoir à s'éloigner d'elle. Parce qu'elle lui permet de ressentir des choses. Il l'admire. Il l'apprécie. Réellement, profondément. Il aime son humanité, ses sourires, sa façon de parler. Le contact doux de ses doigts. Et leurs défis, leurs confidences. « Vous aimez l'art ? Certains artistes en particulier ? » Délicatement, il a éloigné les conversations des sujets qui semblaient douloureux. Comme pour la protéger. Mais il ne peut pas être le gardien de Pétra, car il n'a pas le pouvoir de la couper de ses souvenirs qui font mal. Même si il aimerait qu'elle ne souffre plus. Parce que les sourires lui vont mieux, à la jolie brune.

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